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23/09/2012

Inventaire après rupture (D. HANDLER)

« Cher Ed, dans un instant tu vas entendre un bang. »

Capture d’écran 2012-09-23 à 16.18.00.pngDevant la porte d'Ed, il y a un carton. Dans ce carton, il y a une lettre et pleins d'objets. La lettre, c'est Min qui l'a écrite pour Ed. Elle y commente un par un ces objets, qui évoquent tous les petits et grands moments de leur rencontre, de leur histoire, de leur amour. Ainsi Min explique à Ed comment elle l'a aimé... et pourquoi elle l'a quitté.

Deux capsules de bouteille, un ticket de cinéma, un rapporteur et le sucrier volé dans un restaurant, il y a de l’inventaire à la Prévert dans le gros carton que Minerva dépose devant la porte de son ex-petit ami Ed, le champion de basket du lycée et la coqueluche de toutes les filles. Pourquoi il l’a choisie elle, l’intello, la différente, l’artiste avec sa bande de copains aussi marginaux, passionnés de vieux films et buveurs de café, nul ne le sait. Mais ce que Ed et Min savent, c’est qu’entre eux deux, c’est du sérieux. Parce qu’elle « n’est pas comme les autres filles », parce qu’elle n’en revient toujours pas qu’il ait pu la remarquer.

C’est l’histoire d’un premier amour que Daniel HANDLER raconte, avec ses espoirs et ses désespoirs, les flots d’incompréhension auxquels on se heurte parce qu’on a choisi celui qu’il ne fallait pas choisir – et que c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’a choisi -, la difficulté à être à deux quand on doit être avec le reste du monde, la douleur de la première fois, la naïveté de cette première fois…

Ce gros livre de près de quatre cents pages se dévore pourtant car au fil des pages, au fil des souvenirs égrenés, au fil des objets que sème Min, la narratrice, objets joliment dessinés par Maira KALMAN, l’histoire se construit peu à peu : ça commence par la fin, mais la narratrice nous démontre pièce à pièce que tout était pipé depuis le début. Mais pourtant qu’elle y a cru. Et nous aussi. Et qu’elle continue d’y croire encore un peu, comme nous.

Les personnages secondaires sont parfaits, crédibles, présents mais pas trop, les relations parfaitement décrites (et complètement réalistes), même si ce roman se déroule dans l’univers des lycées américains, l’universalité de l’histoire fait de cet Inventaire après rupture une vraie réussite !

Ces échanges à la noix avec toi, Ed, c’était bon, meilleur que bon. Bafouiller à deux, faire silence à deux, c’était si doux, un luxe inouï, mille fois meilleur que n’importe quel échange à trois cents à l’heure avec qui que ce soit. Au bout de quelques minutes, après avoir bien vasouillé, nos pensées s’accordaient, et la conversation prenait sa vitesse de croisière dans la nuit. Parfois, c’était seulement pour rire, le petit jeu de comparer nos préférences, j’adore ce gour-là, cette couleur est chouette, cet album est nul, ah non, cette émission-là, connais pas, Unetelle est imbuvable, Untel est un con, quoi, tu veux rire ? jamais de la vie, le mien vaut cent fois mieux – petit jeu sans danger, aussi drôle que des chatouilles. (…) Ces soirées au téléphone, Ed, c’était fou, c’était immense, tout ce que nous disions dans la nuit, jusqu’à ce que tard devienne très tard, puis très très tard, et pour finir aller au lit avec mon oreille mâchée, à force d’avoir été écrasé pour t’entendre tout proches ne pas perdre un mot de ce que tu disais, et d’ailleurs dormir à moitié n’avait pas grande importance dans l’obscur ronron de nos journées de galériens séparés. J’aurais foutu en l’air n’importe quelle journée, toutes mes journées, contre ces longues soirées au téléphone avec toi. D’ailleurs, je l’ai fait. Mais c’est pour ça que, d’entrée de jeu, c’était perdu d’avance. Les nuits magiques et murmurées, ça n’avait aucune chance de suffire. Il nous aurait fallu les jours aussi, mais les jours impatients et crus gâchaient tout avec leurs horaires mal foutus, verrouillés, vissés, plus les clans de potes qui se regardaient de travers, plus les trucs arrachés du mur, les énormités à pardonner. Non, les promesses de minuit passé n’y pouvaient rien, et voilà pourquoi nous deux, c’est fini.

Daniel HANDLER, Inventaire après rupture

Nathan

370 pages – 18,50 €

Paru en 2012

Feuilleter un extrait : http://www.nathan.fr/feuilletage/?isbn=9782092540909

L’auteur : Daniel HANDLER est un écrivain, scénariste et accordéoniste américain, mieux connu du grand public sous son pseudonyme occasionnel, par exemple pour l'écriture du funeste destin des orphelins Baudelaire, Lemony Snicket. Il a participé à la chorale officielle de sa ville et a obtenu son baccalauréat au lycée Lowell High School et son diplôme d'études supérieures à l'université Wesleyan en 1992.

Il est actuellement marié à l'artiste et graphiste Lisa Brown, qu'il a rencontrée à l'université, et vit dans une maison de type victorien à San Francisco.

01/09/2012

La faute de Rose (F. CADIER)

« J’aurais pu la tuer !»

Lorsque Rose a rencontré Sean, jeune ouvrier agricole, elle pensait que ses parents béniraient leur mariage. Mais le couperet tombe brutalement : parce que Sean est un étranger, et qu’on ne sait rien de sa famille, il n’en est pas question. Alors les deux amoureux décident de s’enfuir, mais le patron de Sean est trouvé assassiné et le coupable tout désigné : celui qui a disparu. L’escapade se transforme en fuite éperdue. Rattrapés par la police, Rose est enfermée dans un couvent, où toutes les jeunes femmes qui ont fauté sont condamnées à y finir leurs jours, lavant sans relâche du linge. Les sœurs sont dures et sadiques, les murs sont hauts, pourtant, Rose ne renonce pas à s’enfuir, pour retrouver son amoureux. 

Très court roman de cent dix pages, La Faute de Rose alterne deux temps de narration : celui du présent, où elle est emprisonnée dans le couvent des sœurs Magdalènes et cherche à tout prix à fuir, et celui d’un passé proche, lorsqu’elle a rencontré Sean, leurs rendez-vous secrets et leur fuite vers Dublin. La jeune fille sage et obéissante qui se dessine dans la première partie s’est muée en révoltée, prête à tout pour échapper à l’emprise du couvent, et la bonne catholique « ânone désormais des mots vides de sens » tout en rêvant de meurtre.

L’habileté de la narration de Florence CADIER laisse le champ libre à l’imagination du lecteur, posant çà et là par petites touches des bribes de souvenirs, des moments capitaux, et le laissant reconstituer le tout. Jusqu’à la fin, tout reste en suspens, Rose ne parvient pas à ôter de son esprit le doute quant à la culpabilité de Sean,  et le livre se clôt sur une curieuse impression, laissant un fond d’amertume malgré une fin (plutôt) heureuse.

Le couvent des sœurs Magdalène a déjà inspiré le film de Peter MULLAN, sorti en 2002. On retrouve ici la même impression oppressante, l’inhumanité des bonnes sœurs et la religion prétexte à tous les asservissements. La Faute de Rose est un livre dur, difficile, mais édifiant.

J'ai toujours pensé que soeur Bridget et mère Abigail nous menaient en bateau. Pourquoi punir des filles pour des crimes qu’elles n’ont pas commis ? Laquelle d’entre nous est véritablement coupable ? Et coupable de quoi ? D’aimer, d’être aimée ? Je n'ai jamais rien lu de semblable dans la Bible. Je me souviens bien de mes cours de caté avec le curry de Clonakilty, le « aimez-vous les uns les autres » qu’il nous expliquait en long et en large et qu'il reprenait dans un sermon dominical. Alors, comment peuvent-elles nous contraindre à nous laver de nos péchés s’il n'y a pas eu faute ? Ne devraient-elles pas plutôt nous soutenir d'avoir été rejetée par nos familles ? Je me demande si elles ne tirent pas une certaine satisfaction de notre souffrance. C’est peut-être exagéré de le croire, mais il m’est arrivé de le voir sourire quand une de mes compagnes pleurait ! Elles ne ressentent aucune pitié quand nous sommes exténuées ou tristes. Les sentiments de compassion et d’empathie les ont désertées, leurs cœurs sont secs, comme leurs yeux et leur corps.

 

Florence CADIER, La Faute de Rose

Thierry Magnier

112 pages – 8 €

Paru en 2012

L’auteur : Florence CADIER a été élevée à la campagne, dans le Berry, au milieu de cinq frères et sœurs. Elle a été journaliste pendant de nombreuses années, en presse écrite puis audiovisuelle. Elle a commencé à écrire des livres pour la jeunesse en 1995 en pensant à ses deux enfants. Puis, de nombreux ouvrages pour la jeunesse ont suivi. Aujourd’hui, quand elle n’écrit pas, elle anime avec passion des ateliers d’écriture pour enfants en espérant leur transmettre l’envie de raconter des histoires et d’en écouter.

 Son roman Le rêve de Sam, paru aux éditions Gallimard, l’a révélée.

Site de l’auteur : http://minisites-charte.fr/sites/florence-cadier