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18/05/2012

Cachés (S. DOGAR)

« Je cours dans les rues ; c’est le petit matin et le soleil essaie de percer à travers la brume. »

Amsterdam, 1942. Peter a seize ans. Pour échapper aux persécutions nazies, ses parents et lui  rejoignent la famille Frank dans leur cachette. Mais comment s'habituer à vivre dans si peu d'espace ? Supporter la proximité des familles, des esprits, des corps ?

Sharon DOGAR nous propose un nouveau regard sur l’histoire d’Anne Frank : celui, totalement imaginaire, du jeune homme qui cohabita avec elle dans l’Annexe, sur les bords du Prinsengracht et dont Anne Frank s’éprit. Ce changement de perspective permet de considérer autrement cette histoire aujourd’hui universelle. Le lecteur du Journal y retrouve l’histoire qu’il connaît, mais vue non plus à travers les yeux d’une adolescente de treize ans, mais à travers ceux d’un adolescent de seize, timide et emprunté, complexant face à la culture des Frank et obsédé par l’idée de mourir sans jamais avoir fait l’amour à une fille.

La narration alterne deux temps : celui de l’enfermement dans l’Annexe et celui de la déportation à Auschwitz. Peter mourra apparemment en 1945, à l’infirmerie de Mauthausen, en Autriche. L’un et l’autre se répondent, pour mieux rappeler le destin inéluctable auquel sont promis les personnages et n’en rend que plus insupportable cette séquestration. Peter raconte les journées sans soleil, les cambriolages à l’Annexe, la peur d’être découverts, les difficultés de la cohabitation et l’instinct de survie, qui le pousse vers Anne, comme elle est poussée vers lui, afin d’expérimenter ce qu’ils ne connaîtront peut-être jamais : l’amour physique, que Peter devine derrière le mur de la pièce où dorment ses parents…

C’est une Anne Frank tour à tour agaçante, émouvante, égoïste et obsédée par l’idée de son œuvre qui est esquissée à travers ses pages. Le personnage d’Otto Frank est également très présent, puisqu’il restera le compagnon de Peter en déportation, même si l’on peut regretter l’effacement progressif de la sœur aînée d’Anne, dont elle était très proche, au fil des pages.

Parfois un peu long, comme l’étaient les journées qui s’égrenaient dans l’Annexe, puis terrible lorsqu’il évoque la vie à Auschwitz, Cachés se révèle un roman qui donne une autre densité encore à l’histoire d’Anne Frank.

- Tu crois qu’un jour on découvrira notre existence ?

Elle m’a posé la question très doucement. (On ne sait jamais, il y a toujours des oreilles qui trainent. A peine nos parents nous entendent-ils poser une question qu’ils se précipitent dessus, comme un chat sur un rat, avant de la déchiqueter jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien pour nous, rien auquel nous ayons même envie de penser.)

- Aucune idée, j’ai répondu en m’asseyant à côté d’elle. Qu’est-ce que tu voulais dire exactement ? Simplement nous, ici, ou tous les Juifs ?

- Nous, ici, dans l’Annexe. C’est trop déprimant de penser à tout ce qui doit se passer ailleurs.

Je n’avais jamais compris que chuchoter pouvait créer une telle intimité.

- Ca ne va pas durer éternellement. Faut espérer.

- Tu ne penses pas ?

(…) J’ai jeté un œil sur son cahier, mais elle l’a tout de suite refermé. « Ah, ça doit être son journal ! » Et naturellement j’ai ajouté :

- Quelquefois, je regarde un objet que j’ai fabriqué de mes mains et je me demande s’il sera toujours là quand j’aurai disparu.

- C’est différent, a-t-elle murmuré.

- Différent de quoi ?

- Des mots, des histoires, des idées.

Nos têtes se frôlaient. Doucement, j’ai passé la main sur son journal. Elle n’a pas bougé.

- Mais ça, c’est un objet que tu as fabriqué, non ? Ces mots, ils seront toujours là, tu ne crois pas, même si on… on n’est plus là, nous ?

Elle me dévorait des yeux et cela me faisait du bien. Comme si j’avais réussi à la surprendre.

- Ils brûlent des livres, a-t-elle ajouté tout bas. Par piles entières. Des tonnes de bouquins.

- Je sais, Anne, mais ton père  a raison, ils ne pourront jamais brûler les idées. En tout cas pas toutes.

 

Sharon DOGAR, Cachés

Nathan

300 pages – 15 €

Titre original : Annexed– Paru en 2010 – Traduit en Français en 2011

Feuilleter un extrait : http://www.edenlivres.fr/p/11038

Une vidéo (en anglais): http://vimeo.com/15223605

L’auteur : Sharon Dogar est née en 1962. Elle vit à Oxford avec sa famille, et exerce comme psychothérapeute pour enfants. Enfant, elle a découvert Le Journal d'Anne Frank et s'est toujours demandé ce qui était arrivé ensuite aux habitants de l'Annexe. Voir sa propre fille le lire l'a poussée à écrire Cachés.

 

11/01/2012

L'Etang aux libellules (E. IBBOTSON)

« - Pleurer à ton âge ! s’exclama Tante Hester d’un ton de reproche. Tout de même, à cinquante-deux ans, on ne pleure pas. »

Londres, 1939. La jeune Tally, onze ans, a obtenu une bourse pour intégrer une école dans le Devon. D’abord paniquée à l’idée de quitter son père et ses tantes aimantes, elle va découvrir Delderton, un établissement plutôt progressiste pour son temps qui vise en premier lieu l'épanouissement des élèves. A l’occasion d’un voyage d'échange scolaire avec le petit pays de Berganie, en Europe centrale, l’Histoire va soudain s’accélérer : le roi qui s'oppose à Hitler est assassiné. Son fils est en danger. Menés par Tally, tous vont s’unir pour lui permettre de quitter le continent.

Uchronie sur le principe (un état imaginaire, une situation qui pourrait être), cet Étang aux libellules est un très beau roman humaniste et optimiste, qui évoque la question de la résistance face à l’oppression : c’est parce qu’elle a vu un reportage sur la Berganie, petit pays qui refuse de plier face à Hitler, quand tous les grands d’Europe l’ont fait que Tally a voulu que son école participe au festival organisé là-bas, malgré les dangers encourus. L’attitude des enfants tout au long du livre s’oppose à celle des adultes, faite de concessions, de renoncements et de rigidité au nom d’une tradition qui n’a plus lieu d’être.

On ne peut qu’être touchés par chacun des personnages, depuis ceux des enfants, bien sûr, que ce soit la petite fille de célébrité abandonnée dans son pensionnat au jeune garçon qui aurait voulu « être dans une école normale » et jouer au cricket, jusqu’aux adultes, avec notamment le mystérieux Matteo. Quant à Tally et Karil, ils révèlent chacun à leur manière une maturité impressionnante et pourraient en remontrer à bien des adultes.

L’Etang aux libellules est un récit initiatique, la chronique d’une résistance et la conquête d’une liberté, à la fois individuelle et collective.

- Je ne veux critiquer personne, mais qu’est-ce que cette école exactement ? On parle d’une école progressiste, et je connais le sens du mot progresser – du moins, je pense. Ça veut dire aller d’un endroit à l’autre. Mais où ?

- Ah, c’est une bonne question, répondit le directeur, l’air soudain pensif. Eh bien, nous voulons que les enfants prennent leur vie en main. Qu’ils choisissent ce qui est bon pour eux plutôt qu’on le leur impose.

- Oui, je vois. Mais pour ça, il faut savoir ce qui est bon.

- Et tu ne crois pas que chacun le sait ?

- Si, en général. Mais est-ce que… l’école dans son ensemble ne devrait pas aller d’un endroit à un autre ? Vers un endroit meilleur… puisqu’elle est progressiste ? Enfin, le monde n’est pas très bon, n’est-ce pas, avec la guerre qui arrive et tout ça ?

Daley resta silencieux. L’enfant avait certainement raison en ce qui concernait l’état du monde. Pendant un instant, il vit ce qu’elle voyait : toute l’école s’avançant comme une armée vengeresse du côté du Bien.

Eva IBBOTSON, L’Etang aux libellules.

Nathan

460 pages – 17€

Titre original : The Dragonfly Pool  – Paru en 2008– Traduit en Français en 2011

L’auteur : Née à Vienne en 1925, Eva IBBOTSON a vécu en Angleterre, où elle a rencontré un très grand succès. Elle est célèbre pour ses romans jeunesse, notamment Reine du fleuve et L’Étoile de Kazan, publiés en France. Avec L’Étang aux libellules, elle a remporté le School Library Journal Best Book of the Year 2008. Récemment disparue – en octobre 2010 –, Eva IBBOTSON a reçu un hommage unanime de l’ensemble de la presse anglaise.