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07/11/2016

La Plume de l'ange (L. BAZIRE - F. TALAMON)

"L'homme se laissa aller contre le dosseret de son fauteuil. "

IMG_4661.jpgParis, 1759 : les philosophes tentent de publier leur Encyclopédie malgré la censure. Judith Amelot, fille d'imprimeur, se passionne pour le métier de son père. Mais ce dernier est brutalement arrêté, sans raison apparente, sur ordre du roi. A dix-sept ans, la jeune fille doit assumer seule la responsabilité de l'imprimerie, face à l'hostilité des ouvriers. Désespérée, elle reçoit une lettre qui lui redonne courage et dans laquelle l'auteur, anonyme, lui déclare sa flamme. Pourtant, Judith n'est pas au bout de ses peines. Quelqu'un chercher manifestement à anéantir la famille Amelot. Qui ? Et pourquoi ?

Le duo L. Bazire-F. Talamon se retrouve pour proposer une histoire alerte et bien menée. L'héroïne de dix-sept ans est attachante et plaira aux adolescentes, à la fois naïve et déterminée. La peinture de la société du XVIII° siècle est plaisante et fait évoluer le lecteur de l'atelier d'imprimeur aux salons des beaux esprits, en passant par Versailles, et la galerie de personnages est joliment brossée. Tout au plus pourra-t-on regretter que l'on passe si rapidement sur les philosophes des Lumières et leur Encyclopédie, qui devient surtout prétexte et s'efface pour laisser place au romanesque. Un peu dommage que le lecteur n'en sache pas plus sur eux une fois le livre refermé. 

— Vois-tu, toutes ces manœuvres de Cour ébranlent le monde de la librairie. Imagine un instant que cette condamnation entraîne l'interdiction définitive de L'Encyclopédie : cet ouvrage s'arrêterait au tome VII et au mot "Gythium" !

— "Gythium" ? avait-elle répété en levant le sourcil. 

— Ah, ne va pas me demander ce que ça signifie ! Bride un peu ta curiosité, avant que je ne te rappelle les désastres où celle d'Eve nous a tous entraînés ! L'important n'est pas là ! Si l'Encyclopédie s'arrêtait, des dizaines d'auteurs se retrouveraient alors sans ressources et plusieurs imprimeurs en faillite...

Là, se souvent-elle avec honte, elle s'était de nouveau emportée :

— Mais ce n'est pas l'argent le problème, ce sont les livres !

— Voilà bien les femmes ! Mais dis-moi, à ton avis, quel est le nerf de la guerre, qu'est-ce qui fait que l'on continue à diffuser, à publier, à distribuer des écrits ? L'argent, ma toute belle, alors ne sois pas si méprisante lorsque j'évoque les soucis commerciaux de ceux qui prennent le risque d'imprimer tes chères idées !

Laure BAZIRE, Flore TALAMON, Les Enfants des Lumières - 1759 La Plume de l'ange, Nathan

Paru en 2016 - 280 pages - 14,95€

Les auteurs :

Laure Bazire

Professeur de Lettres, Laure Bazire aurait voulu élever des poules et créer des jardins. Elle a bien élevé des poules mais les chiens les ont dévorées, alors elle élève ses enfants, secoue ses élèves et écrit les histoires qu'elle n'a pas vécues. Elle partage son temps entre Versailles et la Normandie. Elle a eu un âne pendant longtemps (ceux qui ont lu Le singe de Buffon en ont entendu parler !), mais il est maintenant à la retraite dans une propriété voisine, après avoir tenté de s'introduire maintes fois dans le salon.Co-auteur de romans sur le siècle des Lumières, sur lequel porte sa thèse, elle a voulu cette fois faire partager son goût des textes antiques en imaginant le personnage de Marcus dans Le secret du gladiateur, paru en avril 2013.

Flore Talamon

Pour faire mon portrait

Peindre d’abord un appartement à Paris

Avec son aquarium à poissons exotiques et son mobilier 70

Peindre aussi trois fillettes,

Un père éditeur et une mère photographe

Et y glisser beaucoup de livres, souvent sérieux mais pas toujours.

Placer la toile contre un arbre du Luxembourg

Entre deux kiosques à bonbons

Et attendre des années en suçant un réglisse.

Faire ensuite le portrait de l’étudiante

Courant la rue Saint-Guillaume,

Puis dessiner Big Ben et le lac Michigan.

Peindre à côté un chai et deux alambics,

Et tenter de figurer une responsable de marques

Dans un bureau en open-space.

Peindre l’agitation et la vitesse,

Puis dans le même tempo, trois berceaux à l’ancienne.

Effacer soigneusement une pyramide renversée,

Faire grandir les têtes blondes.

Tracer ensuite des lettres, des quantités de lettres,

Des a, des e, des i, beaucoup de ?

Les disposer en articles de presse, en scenarios de bande dessinée

Et en romans pour la jeunesse.

Insérer quelques sourires, du calme aussi.

S’il vous reste un petit coin de libre,

Peindre des classes, des enfants et des feuilles blanches,

Et dans des petites bulles,

Des histoires de géants, des histoires de soi,

Colorées d’espoir ou de folie.

Alors, arracher tout doucement un stylo à un enfant

Et écrire mon nom au milieu du tableau.

22/05/2012

Venenum (C. BOUSQUET)

« Je me rappelle parfaitement de notre dernière entrevue, en ce lugubre mois de février. »

Février 1650,  René Descartes meurt, officiellement d’une pleurésie. Mais Jana, sa pupille, connaît la vérité : il a été empoisonné. Par qui ? Et surtout, pourquoi ? Y a-t-il un lien entre son assassinat et la mise à sac de l’imprimerie où ses derniers écrits devaient être imprimés ? Et que contiennent les lettres codées qu’il lui a confiées ? Poursuivie par d’implacables tueurs, Jana n’a d’autre solution que fuir et trouver au plus vite le destinataire de ces courriers. Escortée par Conrad van Vries, ancien soldat au service de la France, Jana se lance dans une course éperdue qui, d’Amsterdam à Paris, la mènera au plus près des cercles du pouvoir, au cœur d’un complot dont le cardinal Mazarin pourrait bien être l’instigateur !

Charlotte BOUSQUET propose à son lecteur un roman tout à fait passionnant, où histoire, littérature et philosophie se mêlent sans jamais lasser ou être pesantes. L’héroïne présente a priori toutes les caractéristiques du rôle : jeune, orpheline, au passé incertain, intelligente et débrouillarde, tête brûlée, elle affronte tous les obstacles sans férir, n’hésite pas à endosser des habits d’homme pour agir à sa guise et… se révèle petite âme sensible lorsqu’il s’agit d’échanger un premier baiser !

On lit ce Venenum avec jubilation, y croisant au fil des aventures le véritable Cyrano de Bergerac (qui parle comme son homonyme de chez Edmond ROSTAND) ou encore le Cardinal de Mazarin. Les personnages, outre celui de Jana, sont bien campés, depuis le mystérieux Espagnol jusqu’à l’apprentie comédienne, et le Paris du dix-septième siècle offre une toile de fond aussi sinistre que mal famée à l’intrigue.

Les références sont nombreuses, qu’elles soient littéraires, historiques ou philosophiques, et font que l’on prend beaucoup de plaisir à lire les aventures de Jana van D., anti-Agnès puisqu’élevée à l’égale des hommes et n’hésitant pas à les affronter sur leur terrain. Jusqu’en amour, et ce n’est pas la moindre malice de ce roman…

Roman picaresque, roman d’apprentissage, roman policier, Venenum se dévore avec bonheur, depuis sa fuligineuse couverture jusqu’à l’appareil documentaire qui vient enrichir encore l’histoire pour mieux la compléter.

« Quelle est, dites-moi, la différence entre cette malheureuse et un chien habitué à obéir ? Entre un être humain si maltraité qu’il en devient une machine, et ce même chien ? » « Vous ne comparez une femme, encore moins un homme, et une simple bête », rétorqua René, d’autant plus irrité qu’il venait d’ouvrir sa garde.  Je ne lui laissai pas le temps de la refermer. « Encore moins un homme ? Mon esprit serait-il, en dépit de tous vos soins, à jamais inférieur à celui de Georges de la Souche ? A quoi bon, alors, ces années durant lesquelles j’appris le latin, le français, le grec, la philosophie et tout ce que vous jugeâtes utile de m’enseigner ? » Il se défendit fort mal, peut-être parce qu’il ne parvenait pas à s’emporter contre moi, peut-être parce qu’il savait, au fond, que j’avais raison. Ce qui différenciait un homme d’une femme n’était point la raison mais le corps. Une mécanique sans importance. Quant à l’âme animale, il suffisait d’utiliser la méthode pour concevoir son existence : ce que je lui démontrai.

Charlotte BOUSQUET, Venenum

Gulf Stream – Courants noirs

288 pages – 13,90 €

Paru en 2012

Feuilleter un extrait : http://www.gulfstream.fr/livre-189-venenum.html

L’auteur : Philosophe de formation, Charlotte BOUSQUET est l’auteure d'une quinzaine de romans, dont Cytheriae (Prix Elbakin 2010, Prix Imaginales 2011). Pour les adolescents et les jeunes adultes, elle a récemment publié Nuit tatouée et Nuit brûlée, les premiers tomes d’une pentalogie dystopique (Galapagos / L’Archipel). Aux éditions Gulf Stream, après deux polars historiques, Noire lagune (Juke Box ado 2010) et Princesses des os, elle a signé Précieuses, pas ridicules, un abécédaire décapant dans la collection « Et toc ! ».

Le site de l'auteur : http://www.charlottebousquet.com/Accueil.html