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10/10/2012

Ami entends-tu...

« C’était presque toujours moi qui commençais. »

1943. A Nantes, Félix, lycéen, ne rêve de rejoindre un réseau de Résistance : nous sommes au plus fort de l’Occupation allemande et il est fasciné par un de ses camarades, Jacky, de deux ans son aîné, qui semble être un de ces héros de l’ombre. Chez lui, ses parents lui semblent si passifs, attentistes, il ne comprend pas leur inaction. Quant à sa sœur, à dix-huit ans, elle ne songe qu’aux garçons. Sauf que la réalité est peut-être plus complexe que cela et que les héros ne sont pas ceux que Jacky croit…

Béatrice NICODEME a parfaitement réussi à restituer l’atmosphère pesante de l’Occupation, ces petits détails du quotidien qui apportent du réalisme et permettent au lecteur d’entrer complètement dans cette histoire à la fois si proche et si loin. Son narrateur, Félix, est un adolescent impatient d’agir, au risque de se mettre en danger, mais aussi d’en entraîner d’autres et compromettre ainsi les réseaux de Résistance.

Son récit montre bien l’organisation tentaculaire mais obscure des réseaux qui se côtoyaient sans jamais se connaître vraiment, afin de préserver chacun, mais il montre aussi les petitesses et les lâchetés de chacun, depuis les lettres anonymes jusqu’à la boulangère qui triche sur la farine de on pain mais porte de rutilantes chaussures neuves. Le roman dépeint avec beaucoup de tendresse ces adolescents désireux de bien faire, de montrer leur refus, à coups de petits gestes ou d’autres, plus lourds de conséquences mais lancés sous le coup de l’insouciance juvénile.

Avec son titre emprunté bien sûr à la chanson des Partisans, cet Ami entends-tu… est un très bon moment de lecture, à la fois historique et policière, qui permet de regarder la grande Histoire à travers le prisme de petites existences.

À partir de ce jour-là, la vie avait pris des couleurs étranges, aussi changeantes qu’un ciel de giboulées.

Il y avait des moments bleus : quand le directeur de l'école nous renvoyait à la maison parce qu'il y avait une alerte ; ou encore au  cinéma, quand on sifflait Le Moustachu et ses généraux aux actualité. Ensuite, la police fermait le cinéma pendant une semaine, mais ça nous était égal.

Cependant l’Occupation allemande avait aussi ses mauvais côtés. Plus question de traîner après l'école, à cause des rafles. On devait avoir toujours dans nos cartables des masques à gaz qui puaient le caoutchouc et nous faisaient ressembler à des hannetons. Une fois la nuit tombée, on n’ avait plus le droit de sortir et on devait coller du papier bleu sur les vitres pour que les aviateusr de la RAF ne soient pas attirés par les lumières de notre ville. Surtout, on avait souvent froid et fin, parce qu’on manquait charbon et que la nourriture était rationnée.

Voilà pour la couleur grise.

Et puis il y avait les moments noirs. Les nuits où la sirène nous réveillait en sursaut et où on allait retrouver les voisins à la cave, la tête résonnant du vrombissement des forteresses volantes et des tirs de DCA… Les matins où une boutique restait fermée parce qu’à l’aube une voiture noire avait emmené les commerçants vers on ne savait quelle destination…

Tout cela, on essayait de l’oublier. On essayait d’oublier les prisonniers qui ne reviendraient peut-être jamais, l’étoile jaune sur les vêtements des Juifs, les rafles et les arrestations, les garçons enrôlés pour aller travailler en Allemagne, et ceux qui disparaissaient du jour au lendemain sans qu’on sache exactement pourquoi.

On ne le savait pas, mais on le devinait.

Béatrice NICODEME, Ami entends-tu…

Gulf Stream

256 pages – 12,50 €

Paru en 2008

L’auteur : Sa passion pour le roman policier est née il y a bien longtemps avec la lecture d’une des aventures de Sherlock Holmes, Le Chien des Baskerville, et s’est concrétisée par un premier roman en 1987. Dix ans plus tard, après avoir exercé pendant quinze ans le métier de maquettiste, elle a décidé de se consacrer totalement à l'écriture. 
Ses romans policiers pour adultes privilégient les intrigues psychologiques chargées d’atmosphère, dans lesquelles passé et présent sont souvent intimement liés, les événements de l’enfance ou de la jeunesse jouant un rôle capital dans la construction de l’individu, de la personnalité criminelle en particulier. 
Le passé a la part belle également dans ses romans historiques, genre auquel elle se consacre de plus en plus. 
Ses récits pour la jeunesse s’adressent aussi bien aux très jeunes lecteurs qu’aux adolescents, avec des intrigues qui se déroulent tantôt aujourd’hui tantôt dans un passé plus ou moins lointain. Elle recrée notamment avec bonheur l’univers de Sherlock Holmes en mettant en scène le jeune Wiggins, chef des Irréguliers de Baker Street.

Site de l’auteur : http://www.beatrice-nicodeme.com

10/08/2012

Nina Volkovitch - La Lignée (C. TREBOR)

« Je ne peux pas me calmer, alors je me serre contre maman. »

A quinze ans, Nina Volkovitch en paraît douze. Envoyée à l’orphelinat de Karakievo parce que ses parents sont considérés comme des « ennemis du peuple », elle a fait le serment de s’enfuir et de retrouver sa mère, emprisonnée dans un goulag de Sibérie. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que sa mère a pris soin de dissimuler de précieux indices pour l’aider à s’échapper, mais aussi pour lui révéler les dons particuliers qu’elle possède sans le savoir. Car Nina est la descendante des Volkovitch, une illustre famille qui détient des pouvoirs aussi prodigieux que terrifiants. Et c’est elle, Nina, qui représente le dernier espoir face à un ennemi plus puissant que la dictature soviétique…

Il y a d’abord l’objet-livre : une couverture traitée à la manière d’une icône russe et une tranche dorée qui renforce cette impression. L’énigmatique jeune fille qui fixe le lecteur, une poupée au foulard de babouska dans les bras. Et puis une histoire qui d’emblée sait distiller ce qu’il faut de mystère et d’interrogation pour entrainer le lecteur à sa suite.

La jeune Nina, narratrice de l’histoire, entretient une relation quasi fusionnelle avec sa mère – son père ayant disparu sans laisser de traces – et l’arrestation de cette dernière est un déchirement. C’est cependant à l’orphelinat où elle a été menée que Nina va en apprendre plus sur elle, sa famille et ses dons. Les rencontres qu’elle va faire vont l’enrichir un peu plus à chaque fois, même si elles vont aussi lui dessiller les yeux et lui faire saigner un peu plus le cœur.

D’une histoire a priori réaliste et historique – le glossaire de la fin est là pour compléter les notions sur la civilisation et l’histoire russe et soviétique – on va pourtant basculer peu à peu vers un fantastique bien amené. Carole TREBOR a su jouer sur les différents niveaux : la dénonciation d’un système politique, la force de la religion, l’amour de l’art, pour construire une histoire palpitante et dont on attend avec impatience les deux prochains épisodes…

Il est cinq heures du matin, le jour se lève, j’ai vu la lumière verte à travers les fenêtres du réfectoire. Je me glisse sous ma couverture qui pique. Je suis engourdie de sommeil mais j’ai la tête trop remplie pour m’endormir. Mon cerveau est en ébullition. Une boussole, un couteau. Une dissection. La petite fille, et sa poupée. La petite fille, c’est moi. Et ma poupée. Je n’ai pas de couteau ni de boussole. Une dissection. Qui dissèque ? Le collectionneur d’œuvres ! L’équivalent de maman. Ou de mon père ! Puisque lui aussi était conservateur au musée d’art russe ancien, là où se trouvaient toutes les icônes, les peintures religieuses et les objets de culte (bibles, coupes…) réquisitionnés par l’Etat peu de temps après la révolution. « Les icônes sont désormais propriété nationale. » Dans les années vingt, mon père a parcouru le pays pour éviter les pillages, les destructions, et récupéré un maximum d’objets religieux pour les collections nationales.  Qu’a-t-il disséqué ?

Carole TREBOR, Nina Volkovitch – La Lignée

Gulf Stream

220 pages – 14,90 €

Paru en 2012

Feuilleter un extrait : http://www.gulfstream.fr/livre-198-nina-volkovitch.html

L’auteur : Carole TREBOR est auteur (livres, scénarios, pièces de théâtre), journaliste-reporter d’image et réalisatrice (Arte.tv, INA.fr, YouHumour.com, France 5...) elle a notamment réalisé la série Les Tabous de l'histoire pour la chaîne Arte (2008). « Quand je me suis lancée dans la réalisation, mon premier travail d'auteur consistait à décrypter les émissions de télévision du site de l'INA pour éduquer le regard des professeurs, susceptibles d'utiliser les archives audiovisuelles de l'INA dans leurs cours. Cet abécédaire sur la télévision m'offre aujourd'hui la chance de porter un nouveau regard, enrichi par mes expériences audiovisuelles, sur ce sujet passionnant qu'est la télévision ! »

Site de l’auteur : http://www.caroletrebor.com

21/07/2012

Les Poisons de Versailles (G. RESPLANDY-TAÏ)

« Un halo glacé enveloppe la petite troupe qui s’achemine à travers le parc, et les visiteurs qui s’approchent, soudés en un seul bloc pour mieux se protéger des morsures de la bise, ressemblent à des pantins maladroits à la démarche titubante. »

Nous sommes à Versailles, en 1672. Sur le chantier de son futur palais, Louis XIV est indifférent au sort des ouvriers qui se tuent à la tâche, comme à celui d’un jeune jardinier retrouvé assassiné dans le potager de La Quintinie. Pourtant, le poison rôde à la Cour du roi de France et nul ne sait de qui viendra le châtiment,  de La Montespan, experte en drogues en tout genre ou plutôt des Catalans révoltés contre l’insupportable gabelle, et que le roi a brisés et humiliés. Car un ruban à leurs couleurs, sang et or, a été retrouvé entre les doigts de la victime… Parmi tous ces illustres personnages, Vauban, Molière, Agnès, la jeune suivante de la reine, cache son passé : n’est-elle pas la seule rescapée de ce massacre qui impliquait des dragons du roi ? Et que penser d’une mystérieuse herbe, recherchée par le roi pour apaiser ses fièvres ?

Un peu complexe à première vue, Les Poisons de Versailles se révèle très vite un passionnant roman policier qui sait habilement utiliser la trame historique (et la parfaite connaissance qu’a l’auteur de cette époque) pour rendre vivante une période historique souvent figée dans le faste de l’absolutisme. Ici, Louis XIV se révèle un souverain encore jeune (il a trente-quatre ans), empêtré dans ses soucis domestiques, des problèmes de santé et un territoire qui est encore en train de se structurer. Ajoutons à cela son amour des arts et sa curiosité botanique, et vous aurez une bonne idée de souverain décrit dans le roman.

En parallèle se dessine la narratrice de cette histoire, Agnès Sola-Massuch, jeune catalane qui a vu l’assassinat de toute sa famille, excepté son frère Esteban, et qui ne cesse de redouter la vengeance de ce dernier, de retour en France. Son amitié avec Suzon, une domestique de Madame de Montespan, permet d’offrir en miroir aux fastes versaillais la condition du petit peuple à la même époque. Sa voix sait prendre ses distances avec les faits et les gens et favorise l’immersion du lecteur dans cette histoire confuse mais dont les fils se démêleront peu à peu.

Guillemette RESPLANDY-TAÏ a su jouer avec beaucoup de brio de ce point de vue interne et offre une fin de roman particulièrement intéressante. De surcroît, Les Poisons de Versailles permettent de côtoyer un Molière affaibli par la maladie mais créant son ultime pièce, un La Quintinie, jardinier en chef qui n’a de cesse de réussir des miracles, ce qui en fait une délicieuse lecture, érudite mais jamais pédante.

 J’ai été bien éduquée, mon père était un riche éleveur qui avait eu les moyens, et surtout l’intelligence, de me laisser profiter des leçons données à mon frère Esteban par un précepteur venu de Camprodon. Je sais ainsi lire et écrire, parler en catalan, en castillan et même en français malgré un terrible accent qui me faisait rouler les « rrr » et dont je n’arrivais pas à me débarrasser jusqu’à mon arrivée à la Cour mais que je sais aujourd’hui parfaitement dissimuler, tant les moqueries et agaceries de mes camarades à ce propos m’ont fait souffrir.

Ce sont mes talents de guérisseuse que la reine recherche. Aurait-elle peur ? De qui, je ne le sais pas encore, mais le poison rode à la Cour du roi de  France.

Guillemette RESPLANDY-TAÏ, Les Poisons de Versailles

Gulf Stream

215 pages – 12,50€

Paru en 2011

L’auteur : Docteur en pharmacie, Guillemette RESPLANDY-TAÏ est passionnée par la botanique dont elle fait l’un de ses thèmes favoris pour ses romans jeunesse, en particulier la série des « Thomas L’Aristoloche » aux éditions Le Pommier. Elle est également l’auteur de nouvelles et de récits historiques aux éditions Montalant et Nouveau Monde. Elle a choisi de réunir ses deux passions pour Les Poisons de Versailles.

04/07/2012

Les Profanateurs (M. CAROFF)

« Les six trières rayaient le miroir des eaux. »

Nous sommes à Athènes, en 415 av. J.-C et l’auteur de comédies Eupolis a disparu. Cet événement est passé presque inaperçu en cette fin de printemps, dans une cité bouleversée par deux scandales religieux : la mutilation des statues d’Hermès et la parodie de la cérémonie sacrée des Mystères. Ces incidents ont eu lieu au moment où Athènes s’apprêtait à lancer toutes ses forces navales dans la bataille de Sicile, laquelle devait décider de l’issue de l’interminable guerre du Péloponnèse. Eupolis étant l’ami d’Antisthène le Cynique, celui-ci se met à sa recherche, secondé par le jeune Aristoclès. Leurs pas croisent ceux des personnages les plus illustres de la cité, dont le sage Socrate et le vieil auteur de tragédies Sophocle. Ils devinent bientôt que la disparition du comédien est liée aux profanations et voient se profiler à l’arrière-plan l’inquiétante silhouette d’Alcibiade, responsable d’un effroyable carnage dans l’île de Mélos…

S’il apparaît un peu complexe de premier abord, le roman de Martial CAROFF se révèle très vite absolument passionnant, mêlant à la fois une intrigue policière embrouillée et une connaissance parfaite de la Grèce du cinquième siècle avant JC. Une fois familiarisé avec les us et coutumes de l’époque (et le lexique proposé en fin de volume est un précieux allié), on déambule avec bonheur sur les pas d’Antisthène et de sa nouvelle recrue, le jeune Aristoclès, dont on ne découvrira l'illustre surnom qu’au cours du roman, à travers les rues d’Athènes et ses lieux prestigieux qui prennent tout à coup une autre réalité.

La narration mêle habilement différentes histoires, donnant à voir de multiples points de vue, histoires qui vont finir par toutes se réunir en un point final, à la fois inattendu et… presque cynique ! Les personnages sont bien campés, crédibles car humains, et l’humour est omniprésent dans tout le livre. Les plus âgés y retrouveront avec plaisir joyeusement incarnés les noms de leurs cours d’histoire et de philosophie et les plus jeunes découvriront avec bonheur une civilisation qui fut berceau de la nôtre.

Les Profanateurs, deuxième volume des aventures d’Antisthène (après Sanglante Comédie) est une lecture intelligente, cultivée, rigoureusement écrite et qui procure beaucoup de plaisir.

Antisthène, en tant que métèque, n’avait pas assisté à l’Assemblée du peuple. Mais la rumeur publique s’était chargée de le renseigner sur l’incident qui avait conclu la séance de l’Ecclésia.

Il était inquiet.

Non qu’il plaignît Alcibiade, un vil arriviste qu’il méprisait, mais Antisthène craignait les réactions du peuple, si prompt à s’enflammer. Or, des troubles civils à la veille du départ de la plus formidable flotte que les quais du Pirée aient jamais vue seraient immédiatement interprétés par les ennemis d’Athènes comme un signe de faiblesse.

Antisthène avait rendez-vous à l’Eleusinion, au nord-ouest de l’Acropole. C’était au cœur de ce temple que les objets sacrés des Mystères étaient temporairement entreposés dans une corbeille mystique, à la fin de l’été, avant d’être reconduits à Eleusis par la voie sacrée.

Martial CAROFF, Les Profanateurs.

Gulf Stream Editeur

225 pages – 13,50€

Paru en 2012

L’auteur : Maître de Conférences en géologie à l'université de Brest, Martial CAROFF est depuis toujours passionné par la Grèce antique. Il est l'auteur d'une douzaine de romans policiers et de science-fiction. Outre les enquêtes d'Antisthène chez Gulf Stream Éditeur, il a récemment publié aux éditions Terre de Brume les deux premiers romans de la série d'anticipation « Intelligences » : Exoplanète (2009) et Antarctique (2010) et aux éditions de l'Archipel le premier volume de « Trilogie noire » : Karl (2012).

Site de l’auteur : http://martial-caroff.e-monsite.com

22/05/2012

Venenum (C. BOUSQUET)

« Je me rappelle parfaitement de notre dernière entrevue, en ce lugubre mois de février. »

Février 1650,  René Descartes meurt, officiellement d’une pleurésie. Mais Jana, sa pupille, connaît la vérité : il a été empoisonné. Par qui ? Et surtout, pourquoi ? Y a-t-il un lien entre son assassinat et la mise à sac de l’imprimerie où ses derniers écrits devaient être imprimés ? Et que contiennent les lettres codées qu’il lui a confiées ? Poursuivie par d’implacables tueurs, Jana n’a d’autre solution que fuir et trouver au plus vite le destinataire de ces courriers. Escortée par Conrad van Vries, ancien soldat au service de la France, Jana se lance dans une course éperdue qui, d’Amsterdam à Paris, la mènera au plus près des cercles du pouvoir, au cœur d’un complot dont le cardinal Mazarin pourrait bien être l’instigateur !

Charlotte BOUSQUET propose à son lecteur un roman tout à fait passionnant, où histoire, littérature et philosophie se mêlent sans jamais lasser ou être pesantes. L’héroïne présente a priori toutes les caractéristiques du rôle : jeune, orpheline, au passé incertain, intelligente et débrouillarde, tête brûlée, elle affronte tous les obstacles sans férir, n’hésite pas à endosser des habits d’homme pour agir à sa guise et… se révèle petite âme sensible lorsqu’il s’agit d’échanger un premier baiser !

On lit ce Venenum avec jubilation, y croisant au fil des aventures le véritable Cyrano de Bergerac (qui parle comme son homonyme de chez Edmond ROSTAND) ou encore le Cardinal de Mazarin. Les personnages, outre celui de Jana, sont bien campés, depuis le mystérieux Espagnol jusqu’à l’apprentie comédienne, et le Paris du dix-septième siècle offre une toile de fond aussi sinistre que mal famée à l’intrigue.

Les références sont nombreuses, qu’elles soient littéraires, historiques ou philosophiques, et font que l’on prend beaucoup de plaisir à lire les aventures de Jana van D., anti-Agnès puisqu’élevée à l’égale des hommes et n’hésitant pas à les affronter sur leur terrain. Jusqu’en amour, et ce n’est pas la moindre malice de ce roman…

Roman picaresque, roman d’apprentissage, roman policier, Venenum se dévore avec bonheur, depuis sa fuligineuse couverture jusqu’à l’appareil documentaire qui vient enrichir encore l’histoire pour mieux la compléter.

« Quelle est, dites-moi, la différence entre cette malheureuse et un chien habitué à obéir ? Entre un être humain si maltraité qu’il en devient une machine, et ce même chien ? » « Vous ne comparez une femme, encore moins un homme, et une simple bête », rétorqua René, d’autant plus irrité qu’il venait d’ouvrir sa garde.  Je ne lui laissai pas le temps de la refermer. « Encore moins un homme ? Mon esprit serait-il, en dépit de tous vos soins, à jamais inférieur à celui de Georges de la Souche ? A quoi bon, alors, ces années durant lesquelles j’appris le latin, le français, le grec, la philosophie et tout ce que vous jugeâtes utile de m’enseigner ? » Il se défendit fort mal, peut-être parce qu’il ne parvenait pas à s’emporter contre moi, peut-être parce qu’il savait, au fond, que j’avais raison. Ce qui différenciait un homme d’une femme n’était point la raison mais le corps. Une mécanique sans importance. Quant à l’âme animale, il suffisait d’utiliser la méthode pour concevoir son existence : ce que je lui démontrai.

Charlotte BOUSQUET, Venenum

Gulf Stream – Courants noirs

288 pages – 13,90 €

Paru en 2012

Feuilleter un extrait : http://www.gulfstream.fr/livre-189-venenum.html

L’auteur : Philosophe de formation, Charlotte BOUSQUET est l’auteure d'une quinzaine de romans, dont Cytheriae (Prix Elbakin 2010, Prix Imaginales 2011). Pour les adolescents et les jeunes adultes, elle a récemment publié Nuit tatouée et Nuit brûlée, les premiers tomes d’une pentalogie dystopique (Galapagos / L’Archipel). Aux éditions Gulf Stream, après deux polars historiques, Noire lagune (Juke Box ado 2010) et Princesses des os, elle a signé Précieuses, pas ridicules, un abécédaire décapant dans la collection « Et toc ! ».

Le site de l'auteur : http://www.charlottebousquet.com/Accueil.html