13/08/2010
Ne plus vivre avec lui (E. KAVIAN)
« Tu dirais quoi, si je te demandais de pouvoir vivre ici ? »
Parce qu’elle en a assez de cette garde alternée qu’elle subit depuis ses treize ans, parce qu’elle n’en peut plus d’être une semaine sur deux la baby-sitter attitrée de ses petites sœurs, celle qui nourrit tout le monde et fait tourner les machines à laver, Sylvia a décidé de vivre désormais chez sa mère à plein temps. Et parce qu’il a accepté avant de décéder peu après, Sylvia se reproche sa décision…
Le roman d’Eva KAVIAN restitue admirablement le bouleversement que représente le décès d’un proche : chagrin, culpabilité, incompréhension et impossibilité à imaginer la vie sans lui. Toute la subtilité de Ne plus vivre avec lui réside dans son ambivalence : Sylvia ne pare pas son père de toutes les qualités, ainsi qu’a l’habitude de le faire l’amnésique mémoire des vivants, au contraire, elle cherche tous les moyens d’atténuer son chagrin en empilant les reproches. Mais cela ne marche pas. Car en creusant toujours plus loin dans sa douleur, elle va faire émerger un « autre » père, un homme, tout simplement, avec ses défauts, ses faiblesses, ses angoisses et… ses qualités.
Histoire d’une reconstruction, l’héroïne va « faire son deuil » durant les presque deux cents pages du roman. Livre-fouillis au début, qui semble compresser les mots après les avoir fait sortir par saccades, puis qui va progressivement trouver sa voie, comme Sylvia va trouver les signes qui vont l’aider à continuer. Paradoxalement, c’est en se plongeant dans les rites funéraires en Asie, dernier livre lu par son père, que la jeune fille va retrouver le goût de vivre, en paix avec le souvenir des défunts. C’est le texte écrit qui va la guider sur le chemin de la renaissance.
Dur, sensible, avec des mots qui sonnent justes sans pleurnicherie, ce roman ne pourra que toucher les grands adolescents (à partir de quinze ans), qu’ils aient ou non connu pareille épreuve initiatique pour entrer dans l’âge adulte.
J’ai envie de crier c’était mon père et vous me l’avez volé ! Vous avez sucé sa force, son temps, son énergie, mais vous avez oublié qu’il avait une famille ! Ça ne vous pas traversé l’esprit, ça ? Faites le calcul et dites-moi qui, selon vous, va payer l’addition, pour tout ce que le saint homme des bois vous a apporté ? Savez-vous que je faisais tourner une lessive pendant qu’il réparait votre clôture, savez-vous que pendant qu’il donnait des cours particuliers à vos enfants je devais faire mes devoirs toute seule ? Savez-vous qu’il avait tout prévu pour son décès, mais qu’il n’était pas foutu de remplir le frigo quand nous arrivions chez lui pour une semaine ? Mon Dieu, Papa, d’où me vient toute cette rage ? Je ne pourrais pas pleurer, comme tout le monde ?
Eva KAVIAN, Ne plus vivre avec lui.
Mijade
192 pages – 8 €
Paru en 2009
L’auteur : Née en 1964 en Belgique, Eva Kavian anime des ateliers d'écriture depuis 1985.
Après quelques années de travail en hôpital psychiatrique, une formation psychanalytique et une formation à l'animation d'ateliers d'écriture, elle a fondé l'association Aganippé, au sein de laquelle elle anime des ateliers d'écriture, des formations pour animateurs, et organise des rencontres littéraires.
Elle a reçu en 2004 le prix Horlait-Dapsens, décerné par l'Académie des Lettres pour son travail dans le secteur des ateliers d'écriture.
Complément : une fiche d’exploitation pédagogique de Ne plus vivre avec lui, est disponible sur le site du Prix des Lycéens allemands : http://www.institut-francais.fr/prixdeslyceens/spip.php?rubrique2
15:04 Publié dans Vie quotidienne | Lien permanent | Tags : mijade, adolescence, mort, deuil, kavian, renaissance | | Facebook | |