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22/02/2015

La vie au bout des doigts (O. CHARPENTIER)

« La surveillante de nuit passa dans le dortoir, un sifflet aux lèvres et une lampe à la main. »

IMG_1897.JPGNovembre 1913. Après plusieurs année de pensionnat, Guenièvre, quatorze ans, est une jeune fille rejetée et mal dans sa peau. Certains la traitent de sorcière... Seule l'amitié de Pauline, qui l'ouvre aux réalités de son époque, illumine son existence.

Un jour, elle est recueillie par sa grand-mère et apprend la vie à la campagne dans un vieux manoir en ruine mais entourée aussi de l'affection de Perpétue, la fidèle cuisinière, et du bel Edmond, bientôt mobilisé. La Belle Époque bascule alors dans la Grande Guerre et la vie de chacun, hommes, femmes, enfants, s'en trouve bouleversée. Guenièvre devra se battre, elle aussi, à l'arrière, pour survivre au quotidien, percer le secret de sa famille et se découvrir elle-même…

Magnifique roman sur une jeune fille sensible, différente et qui, quoique peu épargnée par la vie, va peu à peu se reconstruire et s’ouvrir aux autres, La Vie au bout des doigts est également une grande fresque historique qui apporte un regard décalé sur la première guerre mondiale, celui de « ceux de l’arrière », les civils, les femmes, les enfants.

Situant une partie de son histoire non loin du front, Orianne CHARPENTIER apporte un peu de lumière à tous ces anonymes qui vécurent eux aussi dans leur chair cette guerre atroce. Mêlant réel et littérature, elle fait s’entrecroiser Guillaume Apollinaire et Victor Hugo (par le biais de sa domestique…), don de guérisseuse et lettres de poilus, et réussit un très beau roman.

Poétique, sensible, subtil, mais également profondément humaniste, La Vie au bout des doigts est une très belle lecture.

- Est-il possible, finit-elle par murmurer, est-ce qu’il est possible de provoquer le mal juste parce qu’on dit qu’on le veut ?

Elle se tenait près de Mlle Campan dans le salon de dessin et elle tentait de dessiner les reflets des eaux en contrebas. Le jeune femme haussa les sourcils, observa son élève, lui prit la mal.

- Non, non, bien sûr que non, cela n’est pas possible. Quel que soit ce qui vous tourmente, vous n’êtes coupable de rien.

Guenièvre l’écouta de toute son âme. Mais elle ne la crut pas.

A partir de ce jour-là, elle eut définitivement peur de tout ce qu’elle éprouvait. Et cette peur demeura encore, même après que le fleuve eut regagné son lit, au mois de mars.

Orianne CHARPENTIER, La Vie au bout des doigts

Scripto - Gallimard

 Paru en 2014 - 416 pages – 14,50 €

Paru en 2012 en poche – 6,90 €

L’auteur : Née en 1974 à Saigon, pendant la guerre du Vietnam, Orianne CHARPENTIER a passé son enfance au Maroc, puis dans un petit village de Normandie. Après des études de lettres et une école de journalisme, elle a collaboré à des journaux culturels et des magazines destinés à la jeunesse. Elle est aujourd’hui journaliste free lance. Elle a gardé des lectures de ses douze ans (Verne, Kessel ou Dumas) le goût des voyages –ce qui l’a menée au Québec, à Djibouti, en Mongolie, au Kirghizstan, et dans quelques pays d’Europe.

 

Une interview de l’auteur : http://www.pagedeslibraires.fr/dossier-594/un-don-miraculeux.html?osa=506d3d2522607534dfed978dfca02d0cec80383a

27/07/2012

Max (S. COHEN-SCALI)

« Je ne sais pas encore comment je vais m'appeler.»

En Bavière, les service d'Himmler ont initié le premier Lebensborn, un programme destiné à créer une jeunesse parfaite, destinée à régénérer l'Allemagne en produisant de purs représentants de la race aryenne. Parents soigneusement choisis puis soigneusement oubliés afin de produire des « bébés duTroisième Reich » qui n'auront d'autre ambition que de servir le régime nazi. Max s'apprête à naître : il a soigneusement attendu le 20 avril, jour anniversaire du Führer. Nourri de doctrine nazie, il sera un prototype parfait : baptisé Konrad, il va grandir dans le foyer, sans affection, sans tendresse et sans mère, et sera la parfait outil du régime...

C'est un livre absolument glaçant. Par son sujet, par sa manière de le dire, par les enjeux qu'il sous-entend. Sarah COHEN-SCALI a parfaitement réussi son projet : dire l'indicible, raconter la « personnification du mal dont sont capables les hommes envers les enfants en temps de guerre ». Et le résultat est bouleversant : car l'effroi se mêle à la pitié et l'on se demande à chaque page si l'on sera capable de passer à la suivante, tant l'histoire est lourde, brutale, violente.

Avoir choisi de donner la parole à l'enfant - car le monstre est un enfant - rend l'ensemble absolument terrifiant ; parce que l'on comprend comment le conditionnement peut produire des individus qui font le mal car on a complètement bouleversé leur système de valeurs. Max est aussi pitoyable qu'il est abominable, malheureux jouet dans les mains des adultes, objet sans sujet, sinon celui de servir la « bête immonde ».

Max est une lecture difficile, à réserver à de jeunes adultes, qui nécessite d'être encadrée. Mais qui peut se révéler salutaire.

Je crois que maman a eu mal, lorsqu'elle s'est unie à mon père.
Je crois qu'elle ne connaissait pas la signification du mot codé schwester.
Je crois qu'elle a failli renoncer et s'enfuir, elle aussi. Mais mon futur père et moi, nous avons encouragé. Mon père, en lui faisant boire une bonne rasade de schnaps, pour la réchauffer, pour qu'elle se détendre et se prête à son devoir. Quant à moi, moi qui n'étais alors qu'une vague idée dans l'esprit de maman, juste une voix intérieure, je n'ai cessé aussi de la stimuler en lui répétant : « Il faut le faire, maman ! Il le faut ! Pour le mouvement national-socialiste ! Pour le Reich ! Pour ses mille ans de règne ! Pour le futur ! » Alors elle a gardé les yeux rivés sur le portrait du Führer, accroché au mur dans la chambre claire et froide. Elle a serré les dents et elle a tenu bon.
Elle l'a fait.
Et je suis là.
Et maintenant il est minuit passé, j'y vais.
Je sors !
Vite ! le plus vite possible ! Je veux être le premier de notre Heim à naître le 20 avril. Dans les salles d'accouchement, j'ai déjà  plusieurs rivaux potentiels. Il me faut les devancer, ne serait-ce que d'une seconde.
Encouragez-moi !
Pensez à ce que je vous ai dit : je DOIS être blond. Je DOIS avoir les yeux bleus. Je DOIS être vif.
Élancé.
Dur.
Coriace.
De l'acier de Krupp.
Je suis l'enfant du futur. L'enfant conçu sans amour. Sans Dieu. Sans loi. Sans rien d'autre que la force et la rage.
Heil Hitler !


Sarah COHEN-SCALI, Max
Gallimard - Scripto
480 pages - 15,90€
Paru en 2012


L'auteur: Sarah Cohen-Scali est née en 1958 à Fès, au Maroc. Licenciée en Philosophie, elle a aussi suivi des études d Art dramatique. Elle écrit des romans policiers et fantastiques pour les petits, les adolescents et les adultes, ainsi que des romans noirs. Elle a publié une vingtaine de livres.

25/06/2012

Mon Amie Sophie Scholl (P. Du BOUCHET)

« Je suis dans ma petite chambre. »

Elisa n’a pas vingt ans. Elle est allemande et vit à Munich, en 1943. Avec d’autres étudiants, ils jouent à l’insouciance mais le cœur n’y est pas. Car les amis d’Elisa sont pour la plupart des résistants : Sophie Scholl, son frère Hans et le frère d’Elisa, Thomas, sont les fondateurs de la Rose Blanche, un mouvement antihitlérien. A leurs côtés, Elisa observe, doute, voudrait s’engager mais craint de le faire, consciente des dangers qui les attendent…

« Spécialiste » des journaux historiques, Paule du BOUCHET nous livre ici le journal d’une Elisa imaginaire, qui aurait côtoyé la jeune résistante Sophie Scholl. L’histoire se déroule en quatre mois, de février à mai 1943, et cette concentration permet de dire l’essentiel sans s’encombrer de fioritures.

Au combat politique s’ajoute une dimension familiale et amoureuse : car les opinions d’Elisa et de son frère sont loin de plaire à leurs parents, farouches partisans d’Hitler, et que, de surcroît, Elisa est amoureuse de Léo, un jeune Juif en fuite pour échapper au sort qui lui est réservé.

Déchirée entre ses devoirs de fille, son cœur d’amoureuse et sa conscience politique, Elisa nous livre le dilemme tout à fait réaliste qui  pu être celui de nombreux jeunes gens à cette époque.

- L’homme est décidément un animal très adaptable. Et vous allez voir que nous allons nous réhabituer très vite à notre vie de Munich. C’est bien cela le danger : les hommes sont capables de s’adapter à des situations que toute la morale humaine, toute la conscience, devrait interdire. Cette faculté-là, d’anesthésie générale, c’est là-dessus que comptent les nazis ! C’est contre cela qu’il faut lutter, garder les yeux ouverts, rester en éveil ! C’est cela le plus difficile… Rester en éveil !

Pour l’heure, ce qui me gardait en éveil, c’était l’amour de Léo. J’adhérais à tout ce que disait Hans. Mais pour l’amour de Léo. (…)

Tout cet été-là 1939 qui me paraît une vie entière parce que j’aimais Léo et que le temps s’était arrêté. Ensuite, il y a eu la guerre et cela m’a paru incongru, inadapté, sans rapport avec l’essentiel. Absurde, mesquin. Et puis terrible, déchirant. Mais nous n’y croyions pas.

Paule Du BOUCHET, Mon amie Sophie Scholl

Scripto – Gallimard

140 pages – 7,50 €

Paru en 2009

L’auteur : Passionnée de musique, pianiste, Paule du BOUCHET a enseigné la philosophie avant de s’orienter vers l’édition et la littérature de jeunesse.
Elle est actuellement responsable du département Musique de Gallimard Jeunesse et de la collection de livres lus «Écoutez lire».
Elle est auteur de plusieurs ouvrages pour la jeunesse.

27/07/2011

Toi et moi à jamais (A. BRASHARES)

« Alice attendait Paul sur le quai. »

Il y a Riley et Paul, deux presque jumeaux tant ils sont similaires. Et puis il y a Alice, la petite sœur de Riley. Celle qui a toujours voulu suivre les autres, celle qui s’est toujours senti à la traîne, celle que l’on taquinait, celle que l’on feignait d’oublier, sauf que… Cet été, Paul est de retour, et les sentiments qu’il avait toujours tenté de contenir vont se libérer et que, cette fois, c’est Riley qui va se sentir exclue.

Ouvrant sur une citation extraite de Peter Pan, le roman d’Ann BRASHARES donne d’emblée le ton : il s’agira d’enfance, de passage, d’injustice, de destinée inéluctable. Ce qui commence comme une bluette sur des amours de vacances dans une station balnéaire où se retrouvent rituellement les mêmes gens d’une année sur l’autre va peu à peu glisser vers une histoire tragique, sombre et définitive comme la vie peut l’être.

Toi et moi à jamais sait brosser un tableau sensible et touchant d’une situation qui ne l’est pas moins : la construction d’un couple qui doit surmonter aléas de la vie et poids du passé. L’écriture d’Ann BRASHARES est toujours juste, d’une plume presque épidermique tant elle sait aller au plus près des sentiments et des âmes et on se laisse gagner par l’empathie à côtoyer ses personnages attachants.

Plus réfléchi, plus introspectif que ses précédents romans, Toi et moi à jamais saura séduire les lectrices à partir de quatorze-quinze ans.

Une pensée lancinante tournait en rond dans sa tête, comme un cauchemar éveillé qui se répète sans cesse. L’amour peut-il durer toute une vie ? Peut-il passer indemne de l’enfance à l’âge adulte en survivant aux écueils et aux tourments de l’adolescence ? Est-il toujours le même à l’arrivée, simplement exprimé de façon différente ? Ou ces deux formes d’amour sont-elles radicalement incompatibles ?

Peut-être n’était-ce pas la réponse qui était déroutante, mais la question qui était mal posée. Peut-être n’y avait-il pas deux sortes d’amour mais des milliards. Ou alors une seule.

Ann BRASHARES, Toi et moi à jamais.

Scripto – Gallimard

336 pages – 13€

Sorti en poche en 2010 – Pôle fiction – 7,60€

Titre original : The Last Summer (of you and me) – Paru en 2007 – Traduit en français en 2008

L’auteur : Ann BRASHARES a grandi dans le Maryland aux États-Unis, avec ses trois frères. Après des études de philosophie, elle travaille dans une maison d'édition à New York.
Le métier d'éditrice lui plaît tellement qu'elle ne le quitte plus. Très proche des auteurs, elle acquiert une solide expérience de l'écriture. En 2001, elle décide à son tour de s'y consacrer. C'est ainsi qu'est né « Quatre filles et un jean », son premier roman. Ann BRASHARES est âgée d'une trentaine d'années et vit à Brooklyn, New York, avec son mari et ses trois jeunes fils.

Site internet : http://annbrashares.com

08/05/2011

Mauvais Plans (C.J. SKUSE)

« Simpson bataillait avec le magnétoscope pour enfiler la cassette, elle était toute genre « J’appuie sur quel bouton déjà ? ».

Paisley et Beau sont jumeaux. A l’âge de six ans, ils sont devenus des célébrités nationales en fuguant pour retrouver leur père alors que leur mère venait de mourir. Retrouvés, ils sont devenus les enfants chéris de l’Amérique, ont été couverts de cadeaux… et récupérés par leur grand-père, une harpie qui ne se remet pas d’avoir été actrice de sitcom. Elle s’est employée à couper tout lien avec leur père, en prison, jusqu’à ce que Beau découvre les lettres qu’il n’a cessé de leur envoyer et apprennent qu’il vient de sortir et cherche à les retrouver.

Mauvais plans est un roman mal élevé, où deux adolescents prennent le pouvoir et décident de se lancer dans une folle cavale afin de retrouver leur géniteur. Las Vegas est leur seul indice et ils vont régler quelques comptes avec leur grand-mère qui n’en veut qu’à leur fortune (amassée grâce à la générosité des téléspectateurs, émus par les « super jumeaux » de six ans et bloquée jusqu’à leur majorité…) avant de partir à l’assaut de cette ville insensée. Maîtrisant les codes de notre société actuelle, c’est en utilisant à nouveau les médias qu’ils vont tenter de parvenir à leurs fins. Pour le meilleur et pour le pire…

Alternant les points de vue de chacun des jumeaux, celui de Paisley, l’insolente, l’indomptable, la rebelle, et celui de Beau, le timide, le complexé, l’intellectuel, la narration est menée tambour battant, ne lançant aucun répit au lecteur qui appréciera l’insolence et la joyeuse vitalité des deux adolescents. Cependant, Mauvais plans n’est pas que cette surface clinquante, c’est aussi un livre qui dit les douleurs de l’enfance, la force des souvenirs – heureux ou malheureux – et la puissance de la fratrie.

Démontrant également le pouvoir des medias et la déroute des esprits qui ne savent plus où ils en sont et font des stars d’individus qui ne le méritent (et le reconnaissent eux-mêmes), C.J. SKUSE ouvre la porte sur une réflexion plus profonde sur une société de l’immédiateté, où seuls comptent le fait de faire parler de soi et de le faire bien.

J’ai secoué la tête.

- Je pige pas. Expliquez-moi la raison de cette filature frénétique ? C’est parce que j’ai un flingue et que YouTube diffuse un montage de nous deux sur une musique de Bon Jovi ?

- En fait, c’est les Who, a corrigé AC/DC.

- Le morceau Baba O’Reilly ? a demandé papa.

- Oui, a dit AC/DC.

- Cool, a dit papa.

« Non mais ce papa, me suis-je dit, à fond avec les jeunes. »

- On veut juste vous aider comme vous nous avez aidés, a dit Fanfare. Vous montrer notre gratitude. S’il te plaît. On pourrait te donner un coup de main pour retrouver Beau.

- Comment ça, on vous a aidés ? Je vous signale qu’on est des voleurs, pas des stars du rock ni des chirurgiens du cœur. On vole les gens pour avoir de l’argent et aller où on veut. C’est tout. On est pas des modèles.

- On veut pas de modèles, a dit Lèvre baguée. On en a ras-le-bol des modèles. Vous êtes ce qui est arrivé de mieux à l’Amérique depuis Bonnie et Clyde. Ça nous donne de l’espoir.

C.J. SKUSE, Mauvais plans.

Scripto - Gallimard jeunesse

335 pages – 13,90 €

Titre  original : Pretty Bad Things – Paru en 2010 – Traduit en français en 2011

L’auteur : C. J. SKUSE est née en 1980 à Weston super Mare en Angleterre. Elle est éditrice junior chez Chicken House et se consacre à l’écriture de romans pour adolescents. Mauvais plans est son premier roman

Site de l’auteur (en anglais) : http://www.facebook.com/prettybadthings