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03/03/2012

Ce qu'ils n'ont pas pu nous prendre (R. SEPETYS)

« Ils m’ont arrêtée en chemise de nuit. »

Le 14 Juin 1941 débutèrent les premières déportations des habitants des « Etats baltes », jugés anti-soviétiques par Staline et condamnés à être réduits en esclavage. Ce soir-là, alors qu’elle s’apprête à aller se coucher, Lina est arrêtée avec sa mère et son petit frère de dix ans. Elle a quatorze ans. Elle ne rentrera de Sibérie qu’en 1954…

Entassés dans un camion le temps d’arrêter « tous ceux qui sont sur la liste », puis dans un wagon de train, le groupe composé de femmes seules ou séparées de leur mari dans un autre convoi, d’enfants et de vieillards va d’abord traverser l’Oural jusqu’à un premier camp de travail, dans l’Altaï, avant de finir leur voyage, quatre-cent-quarante jours plus tard, en Sibérie. Traités comme des esclaves, affamés, souffrant de malnutrition et de manque de soins, ils vont tout endurer, l’instinct de vie chevillé au corps. C’est une enfance massacrée, celle de Jonas, le petit frère, devenu grand trop tôt par la force des choses, c’est une adolescence brisée, celle de l’héroïne, Lina, qui devait faire sa rentrée dans une grande école artistique,  c’est, enfin, une famille écartelée où la force de l’amour tente chaque jour de préserver l’essentiel : être ensemble.

Le roman de Ruta SEPETYS est un magnifique roman, aussi brûlant que sont glaciales les steppes sibériennes, où la violence, l’injustice et le Mal sont omniprésents, mais où l’humanité est partout. On suit les aventures de Lina, qui ne lâche jamais, opiniâtre et obstinée jusqu’au bout, la gorge serrée et les larmes aux yeux. Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre met l’accent sur un aspect méconnu de la dictature stalinienne : l’extermination des peuples baltes. Lituanie, Lettonie et Estonie ont perdu plus du tiers de leur population pendant le génocide soviétique et certains, lorsqu’ils rentrèrent chez eux, trouvèrent des Soviétiques installés, s’étant même parfois emparés jusqu’à leur nom !

A la frontière entre la littérature « adulte » et la littérature de jeunesse, Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre est un roman brutal souvent, presque aride, mais emporté par la voix de sa narratrice Lina, qui sait s’emparer du moindre morceau d’écorce pour dessiner et dessiner encore, à la manière de son artiste favori, Munch, laissant autant de cris derrière elle. Et c’est sans doute une des grandes leçons de ce roman poignant : l’art et l’humain tenteront toujours de s’élever contre la violence et la brutalité. « Mon mari, Andrius, dit que le mal gouvernera le monde jusqu’à ce que les hommes et les femmes de bonne volonté se décident à agir. Je le crois. Ce témoignage a été écrit pour laisser une trace ineffaçable et tenter l’impossible : parler dans un monde où nos voix ont été éteintes. »

Récit de la déportation d’un peuple, Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre est surtout un récit universel, le récit de tous les peuples bafoués dans leurs droits d’êtres humains, quelle que soit leur nationalité, leur culture ou leur religion. En donnant la parole à une jeune fille, en brossant des portraits aussi variés que la petite fille que l’on a privé de  sa poupée et frappée parce qu’elle pleurait trop, ou celui de l’ancienne institutrice qui se morfond de ne pouvoir enseigner à des enfants dans la désespérance, Ruta SEPETYS a réussi un roman superbe, dont l’écho résonne longtemps la dernière page tournée.

Mère sort une liasse de roubles de sa poche et la montre discrètement à l’officier qui tend le bras pour la prendre. Après quoi, il dit quelque chose à Mère, ponctuant ses paroles de petits mouvements de tête. Je vois maintenant la main de Mère voltiger pour arracher le pendentif qu’elle porte à son cou et le déposer dans la main de l’officier. Il ne semble pas satisfait. Ce n’est que de l’ambre. Tout en continuant de lui parler en russe, Mère sort de la poche de son manteau une montre à gousset en or. Je connais bien cette montre. C’est celle de son père ; il y a même son nom gravé au dos. L’officier s’en empare d’un geste vif et lâche Jonas pour se mettre à crier après ceux qui se trouvent près de nous.

Vous êtes-vous jamais demandé ce que vaut une vie humaine ? Ce matin-là, mon petit frère ne valait pas plus qu’une montre à gousset.

Ruta SEPETYS, Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre

Scripto - Gallimard

430 pages – 14€

Titre original : Between Shades of Gray  – Paru en 2011– Traduit en Français en 2011

Feuilleter un extrait : http://www.edenlivres.fr/p/11280

L’auteur : Ruta SEPETYS est née dans le Michigan où elle a été élevée dans l'amour de la musique et des livres par une famille d'artistes. Elle étudie la finance internationale et vit quelque temps en Europe (Paris). Puis elle part pour Los Angeles afin de travailler dans l'industrie de la musique. Aujourd'hui mariée, elle vit dans le Tennessee, à Nashville, avec sa famille.

Site du livre : http://www.betweenshadesofgray.com

Interview de l’auteur :


Une rencontre avec Ruta Sepetys par GallimardJeunesse

06/02/2012

Coeur guimauve (C. Cassidy)

« Je ne crois pas aux fantômes. »
Après Cherry Costello dans Cœur cerise, c’est au tour d’une des jumelles Tanberry de prendre la parole pour raconter l’automne des « Filles au chocolat ».  Elle a douze ans, est ravissante mais – et on le découvre à travers ce roman – elle vit dans l’ombre de sa sœur Summer, plus sûre d’elle, plus jolie (pense-t-elle) et plus populaire. Un peu trop rêveuse, férue d’astrologie, d’histoire et de dessin, elle est passionnée de mode vintage et va voir sa vie changer quand elle va découvrir une vieille malle ayant appartenue à une lointaine ancêtre, au début du siècle….
Deuxième volume de la série, les Filles au chocolat, Cœur guimauve offre un nouveau point de vue sur cette famille recomposée. Si le premier tome montrait la découverte de cette nouvelle communauté à travers les yeux de la nouvelle venue, celui-ci nous entraîne dans un autre univers, plus onirique, plus solitaire aussi, et nous fait comprendre que les familles nombreuses, c’est aussi la difficulté de trouver une place qui soit propre à chacune, sans léser les autres.
Après avoir joué au roman « pour filles », Cathy CASSIDY a glissé vers un livre un peu plus intime, où l’on pénètre dans l’univers de la rêveuse Skye, hantée par cette arrière-grand tante rebelle et mystérieuse, qui se serait enfuie, rompant ses fiançailles, avec un gitan et depuis mise au ban de la famille. Portant ses vêtements et tentant de se glisser dans sa vie qu’elle reconstitue peu à peu, Skye va se découvrir elle-même et s’affranchir de cette sœur adorée mais si envahissante malgré elle.
Le ton est un peu moins naïf que dans le premier volume, mais le rythme reste là et ce Cœur guimauve est plus doux-amer que doucereux.
Une demi-heure plus tard, la malle est près de mon lit dans la chambre que je partage avec Summer. Je soulève le couvercle et j’écarte doucement le papier de soie chiffonné. L’espace d’un instant, j’ai l’impression de sentir une légère odeur de guimauve, un mélange de vanille et de sucre. Puis elle disparaît, remplacée par l’odeur triste et poussiéreuse du temps passé. Est-ce que cela venait de la cuisine et des muffins de maman, ou était un reste de parfum oublié depuis longtemps ? Même si je ne suis pas sûre que du parfum puisse survivre autant d’années. Ça doit être mon imagination.


Cathy CASSIDY, Cœur guimauve.
Nathan
300 pages – 14,50 €
Titre  original : Marshmallow Skye – Paru en 2011 – Traduit en français en 2012


L’auteur : Cathy CASSIDY a écrit son premier livre à l’âge de huit ou neuf ans, pour son petit frère, et elle ne s’est pas arrêtée depuis.
Elle a souvent entendu dire que le mieux, c’est d’écrire sur ce qu’on aime. Comme il n’y a pas grand-chose qu’elle aime plus que le chocolat… ce sujet lui a longtemps trotté en tête. Puis, quand une amie lui a parlé de sa mère qui avait travaillé dans une fabrique de chocolat, l’idée de la série « les Filles au chocolat » est née !
Cathy vit en Ecosse avec sa famille. Elle a exercé beaucoup de métiers, mais celui d’écrivain est de loin son préféré, car c’est le seul qui lui donne une bonne excuse pour rêver !
Site de l’auteur (en anglais) : http://www.cathycassidy.com

30/01/2012

Dear George Clooney tu veux pas épouser ma mère ? (S. NIELSEN)

images.jpg« QUE LES CHOSES SOIENT BIEN CLAIRES : je n’ai pas fait exprès d’expédier mes deux demi-sœurs aux urgences. »

Rien n’est plus pareil depuis que le père de Violette et Rosie a quitté leur mère pour aller s’installer en Californie avec l’Epouse n°2. Depuis, leur mère enchaîne les petits amis loosers, depuis le monosourcil jusqu’au crypto-marié. Sauf que cette fois, cela semble différent. Il porte des pulls atroces, a un sens de l’humour ringard et des seins de graisse, mais elle semble très attachée à Dudley Wiener, dit « Dudley la Saucisse »…

Sur un thème a priori archi rebattu, celui de la vie de famille après un divorce, Susin NIELSEN a composé un roman à la fois drôle et émouvant, sensible et qui touche juste. A travers son personnage d’adolescente persuadée qu’elle sait mieux que personne ce qui conviendrait à sa mère, elle dépeint le quotidien d’adolescentes d’aujourd’hui, entre le collège, les deux Noëls et les beau-parents à gérer.

La narration est pleine de fantaisie, la petite sœur aussi pittoresque que la grande, et le personnage de la mère, passée par toutes les étapes de la déprime avant de refaire surface, très réaliste. Roman féminin – plein de sœurs et de copines – actuel – on y cause Facebook, il évoque également les fins de mois difficiles des familles monoparentales et la difficulté pour les enfants de s’engager dans une relation, après avoir constaté l’échec de celle de leur parents.

Avec ses situations-catastrophe parfois, son héroïne un peu frappadingue et son humour, ce Dear George Clooney… est un excellent moment de lecture.

Le problème, George, c’est qu’elle a des goûts catastrophiques en matière d’hommes. Si bien que j’ai pris l’initiative de me mettre en quête de quelqu’un qui lui convienne mieux. Et vous, je vous sens très bien. Je suis certaine que ma mère et vous, ça marcherait du tonnerre. (…)

Je sais que vous avez beaucoup de fiancées (…) Eh bien, avez-vous déjà réfléchi au fait que vous n’aviez peut-être pas fait la bonne rencontre ? J’espère que vous ne vous vexerez pas si je vous dis que, peut-être, certains de ces mannequins si glamour avec qui vous êtes sortis ne faisaient que vous utilisez pour votre célébrité et votre argent. (…)

Ma mère, elle, ne se servirait jamais de vous. C’est une coiffeuse de grand talent qui n’attendrait pas que vous la gâtiez comme une enfant (même si je suis sûre qu’elle ne cracherait pas sur un petit voyage de temps en temps dans votre château en Italie). Ma mère a toujours cru à l’indépendance dans la vie, et où que vous choisissiez d’habiter, elle se trouverait un travail (mais si je peux faire une recommandation, peut-être pourrait-elle travailler à temps partiel, ce qui lui laisserait le temps d’aller à la salle de sport raffermir un peu sa taille, et d’être à la maison quand ma sœur et moi rentrerions de l’école).

Susin NIELSEN, Dear George Clooney tu veux pas épouser ma mère ?

Hélium

200 pages – 13,90€

Titre original : Dear George Clooney Please Marry My Mum  – Paru en 2010– Traduit en Français en 2011

L’auteur : Susin NIELSEN fait partie de la nouvelle génération d'auteurs canadiens pour la jeunesse. Elle a écrit plusieurs romans et travaille aussi pour la télévision. Elle vit Vancouver.

Site de l’auteur : http://www.susinnielsen.com

08/01/2012

L'Enfant du fantôme (S. HARTNETT)

« Par une après-midi humide et argentée, une vieille dame, qui rentrait chez elle après avoir promené son chien, découvrit un garçon assis dans la bergère fleurie de son salon. »

Parce qu’un jour en rentrant de promenade, Maddy va découvrir un jeune adolescent blond qui s’est invité dans son salon, elle va redérouler pour lui le fil de sa vie, un cheminement vers l’émancipation et la liberté. Vers la solitude aussi.

Matilda Victoria Adelaide a un nom trop grand pour elle. Solitaire, fille unique d’une famille aisée, elle est née en Australie au début du XXème siècle et rêve d’une vie pleine de mystères. De retour d’un voyage initiatique avec son père afin de découvrir « la plus belle chose du monde », elle va croiser la route de Plume, mystérieux homme-oiseau, dont elle va tomber éperdument amoureuse. Mais peut-on mettre en cage ceux que l’on aime ?

Roman étonnant que cet Enfant du fantôme, qui commence sur une rencontre et finit sur un départ inattendu. Court, plein de finesse, à la fois sensible et désenchanté, ce récit brosse un magnifique portrait de femme, depuis la jeune fille effarouchée ayant peur de se tromper à la vieille dame avec son « odeur de vieille personne ». Sonya HARTNETT décrit avec subtilité la difficulté de la relation amoureuse, le fragile équilibre entre égoïsme et don de soi, les sacrifices, l’abandon.

Situé aux antipodes, l’écriture convoque les mythes ancestraux de l’Australie et reprend à son compte la confrontation entre nature et culture, tout en adoptant un ton qui frise l’onirisme. L’Enfant du fantôme est un très beau roman, dont la petite musique mélancolique continue de vous hanter longtemps après l’avoir fini.

- Alors, après avoir étudié durant toutes ces années l’histoire, la géographie, la diction et le point de croix, connais-tu la réponse ?

Maddy battit des paupières.

- Quelle réponse, papa ?

Son père vida le reste de la bouteille de vin dans son verre et fit signe à la domestique d’apporter le porto.

- La réponse à la seule question qui importe, bien sûr : Quelle est la plus belle chose du monde ? (…)

La chose la plus belle du monde : son père était-il sérieux, existait-il vraiment une chose pareille ? Elle savait que l’homme de fer n’était pas homme à plaisanter, ni à dire ou faire quelque chose d’insensé. Le moment était crucial, à n’en pas douter, et il attendait pour le moins qu’elle plonge au plus profond d’elle même afin de lui donner la réponse. Celle-ci lui permettrait d’évaluer sa fille, il ne l’oublierait jamais.

Sonya HARTNETT, L’Enfant du fantôme.

Les Grandes Personnes

160 pages – 13€

Titre original : The Ghost’s Child  – Paru en 2007– Traduit en Français en 2010

L’auteur : Née en 1968, Sonya HARTNETT est une auteure australienne qui a publié son premier roman à quinze ans. Elle a été récompensée par le prestigieux prix Astrid Lindgren. Elle vit à Melbourne, Australie.

27/11/2011

Penelope Green - La Chanson des enfants perdus (B. BOTTET)

« James Alec Green était mourant. »

Fille d’un fameux journaliste, c’est tout naturellement que Penelope se destine à la même carrière. C’est sans compter qu’elle vit à Londres, en 1880, et que l’émancipation des femmes n’est pas encore d’actualité. Surtout lorsqu’elle décide d’aller déterrer une vieille affaire de son père qui va la mener dans les bas-fonds mal famés de la ville…

Un autre roman sur le Londres de la fin du XIXème   siècle, une autre héroïne déterminée, vous penserez que les auteurs manquent un peu d’inspiration ces temps-ci. Cependant, le roman de Béatrice BOTTET n’est pas sans intérêt.

D’abord parce que sous ses dehors de roman historique, il nous offre un vrai roman policier, avec un dénouement complètement inattendu, ensuite parce que la demoiselle Green est une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux et n’hésite pas à faire fi des conventions, un peu trop au goût de certains, enfin parce que le duo incongru qu’elle forme avec le jeune marin français mis sur son chemin n’est pas sans saveur.

Bien sûr, on pourra regretter certaines facilités du récit, des situations qui s’enchaînent un peu trop bien, au risque de rendre peu crédible certains moments, mais cette Chanson des enfants perdus se lit avec un certain plaisir. A réserver cependant à des adolescentes à partir de quatorze ans, l’histoire de fond étant finalement assez dure (trafic d’enfant, manipulation et cruauté mentale…).

Jusqu’où n’allait pas la mener son imagination délirante ? Sa mère ne l’avait-elle pas forcée à brûler dans sa cheminée, quand elle avait douze ou treize ans, des romans qui ne parlaient que de goules, de nonnes fantômes et de vampires ? Les romans pour jeunes filles n’étaient guère de son goût, mais là, vraiment, la digne et triste Mrs Green avait explosé devant la dépravation de sa fille. Ce qui n’avait pas empêché Penny de racheter en secret d’autres romans qu’elle dissimulait dans les endroits les plus improbables de la maison. Et puis, sa mère était morte – quelques jours après son petit frère – et son père se moquait complètement de ce qu’elle pouvait lire du moment qu’elle lisait, et beaucoup, et du moment qu’elle écrivait, et bien.

Béatrice BOTTET, Pénélope Green – La Chanson des enfants perdus.

Editions Casterman

315 pages – 15€

Paru en 2011

L’auteur : érudite, passionnée d’ésotérisme, Béatrice BOTTET est aussi une romancière de talent, à l’humour décapant. On lui doit, entre autres, Rififi sur le mont Olympe et Rififi pour Héraklès. Elle vit à Paris, dans le 19e arrondissement.