31/08/2010
Trop moche pour toi (E. WILWERTH)
« Un coup de fil pour moi ? Ah ?
Je m’arrache à ma sieste, à ma couette, à ma chambre-cocon.»
Pervenche est une adolescente mal dans sa peau, dépressive et boulimique, qui a l’habitude de se cacher tout le temps : elle se cache dans des vêtements informes, elle se cache derrière des cheveux sales, elle se cache derrière une insensibilité de façade. A l’opposé de Zoa, sa grand-mère paternelle, fantasque, exubérante, pleine de vie et de couleurs. Et cette justement cette grand-mère qui va lui proposer de l’accompagner avec elle en Turquie. Voyage cauchemardesque ? oui, jusqu’à ce que Zoa disparaisse…
Étonnant roman qui raconte la mue d’une jeune fille, Trop moche pour toi mérite que l’on dépasse ce titre un peu cliché. En choisissant de confronter deux femmes qui sont aux antipodes l’une de l’autre, Evelyne WILWERTH livre un joli plaidoyer pour la différence quelle qu’elle soit, physique ou sociale. En moins de cent cinquante pages, l’auteur va brosser le portrait de deux écorchées vives à leur manière et va entraîner la plus belle sur la voie de la guérison.
Le ton peut surprendre, voire déranger au début, car les points de vue alternent, même si domine celui de Pervenche, et le style est un peu haché, comme essoufflé. Mais il s’apaise au fil du texte, comme s’apaise l’héroïne, et l’on termine cet itinéraire d’une jeune fille en construction avec beaucoup de plaisir.
Nous sommes sur la Passerelle à Liège, j’ai plus ou moins cinq ans, je suis mince et pas vilaine, je souris, je suis fière d’être enlacée par mon père, je souris peut-être aussi à ma mère, je ne l’appelais pas Plastique à l’époque ! Mes parents avaient plus de temps, on riait ensemble, pourquoi ça s’est peu à peu déglingué, parents de plus en plus pris par la spirale du boulot, puis tensions entre eux, et moi, j’ai dû compenser par quelques sucreries, j’ai gonflé, plastique observait l’évolution avec des yeux froids, méprisants, dégoûtés, on s’est moins parlé, la bouffe a pris beaucoup de place, a pris toute la place.
Évelyne WILWERTH, Trop moche pour toi.
Mijade
140 pages – 9 €
Paru en 2007
L’auteur : Évelyne WILWERTH est née à Spa (Belgique). Licenciée agrégée en philologie romane‚ elle a enseigné le français pendant neuf ans avant de s’investir totalement dans l’écriture. Elle écrit des romans‚ des nouvelles‚ des pièces de théâtre‚ des essais‚ pour un public adulte et pour les jeunes. Depuis 1993‚ elle anime des ateliers d’écriture en Belgique et en France.
Site : http://users.skynet.be/evelyne.wilwerth
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30/08/2010
Tabou (F. ANDRIAT)
« Tout à coup, il y a un blanc. Un vide terrible. Comme lorsqu’explose une bombe et qu’elle détruit, en quelques secondes, une partie de notre monde.»
Trois lycéens prennent successivement la parole pour raconter leur réaction face à ce qu’ils viennent de vivre : le suicide d’un de leurs camarades, Loïc. Peu à peu, la réalité fait jour : ce dernier s’est suicidé parce qu’il ne supportait pas de se savoir homosexuel. Réginald, Philippe, son ami d’enfance, et Elsa, la « beauté » de la classe, vont raconter et se raconter…
Très court roman de moins de cent vingt pages, Tabou choisit de mettre l’accent sur une réalité souvent dérangeante, celle de l’homosexualité. Plus encore lorsque qu’elle touche ce moment-clef de l’adolescent où chacun se cherche et désire plus que tout être « comme les autres » tout en se revendiquant différent.
Frank ANDRIAT joue habilement des points de vue, du plus obtus au plus ouvert, pour dessiner la réalité au plus près. Le personnage de Philippe, aux multiples facettes, cristallise toutes les souffrances et les ambiguïtés de la situation, « maladie » pour les uns, état de fait pour d’autres.
Tout au plus pourra-t-on reprocher certaines longueurs, notamment sur la fin, mais Tabou reste néanmoins un roman, presque un témoignage, tout à fait intéressant.
Tu t’es dit que, bientôt, tu ne pourrais rien dissimuler à personne, qu’il était inscrit en grand sur ton visage que tu étais une tapette ; ta discrétion, tous les efforts que tu faisais pour paraître normal ne suffirait plus à dissimuler la réalité aux autres. Faudrait-il que tu agisses comme Loïc, que tu inventes sur les homos des blagues ignobles dont tu rirais plus fort que tout le monde ?
Frank ANDRIAT, Tabou.
Mijade
110 pages – 7 € Paru en 2003
L’auteur : Frank ANDRIAT est né en 1958 à Bruxelles (Belgique). Il s’oriente vers l’écriture dès quatorze ans et lance en 1973 une revue littéraire‚ « Cyclope ». Après des études de philologie romane à l’Université de Bruxelles‚ il exerce depuis 1980 le métier de professeur de français. Frank ANDRIAT aborde divers registres littéraires : poésie‚ fantastique‚ romans policiers‚ nouvelles…
Dans ses livres‚ il dit l’importance de l’ouverture : le Journal de Jamila exprime son rejet de toute attitude raciste‚ La remplaçante est un vibrant appel au dialogue entre enseignants et enseignés‚ Tabou aborde la question de l’homosexualité.
Site : http://www.frankandriat.com
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16/08/2010
Biture express (F. AUBRY)
« Quelque chose frôle mon visage. C’est métallique, c’est glacé, qu’est-ce que ça peut être ? »
Depuis dix ans, tous les étés, Sarah et sa famille se retrouvent au camping de la Kabylie, dans le sud de la France. Là, tout le monde se connaît, les parents ont vu grandir les enfants des uns et des autres, on s’amuse, on bronze, on fait la fête. Tous les soirs. Les parents partent ensemble et les enfants ont le camping pour eux. Et les bouteilles.
Sarah, comme la plupart de ses amis, fait la fête tous les soirs. Et boit. Beaucoup. Cela fait un an que cela dure et chaque matin ou presque de cet été, elle se réveille plus amnésique que la veille pendant que sa petite sœur de treize ans assiste, impuissante, à ce carnage. Et qu’elle la « couvre », lavant les vêtements qui empestent le vomi…
Aussi provoquant dans son titre que dans son histoire, Biture express est un récit-miroir car il renvoie chacun à quelque chose qu’il a pu vivre, de près ou de loin. C’est une réalité presqu’anodine que dépeint Florence AUBRY : l’été, les apéros festifs qui s’éternisent, les parents qui ne voient pas leur enfants grandir, l’aveuglement généralisé de tous. Car c’est toujours « aux autres » que cela arrive, jamais à soi, jamais chez soi. Jusqu’au drame.
L’auteur joue habilement des points de vue pour faire percevoir la réalité de la situation : celui de Sarah, celui de Gaby, sa sœur, celui de Lucas, l’amoureux de Sarah à la lourde histoire. Si son roman n’est pas pesant ou moralisateur, c’est qu’il n’accable personne, pas plus qu’il ne défend l’un ou l’autre. Chacun a toujours ses bonnes raisons pour faire ce qu’il fait. Mais ce que décrit parfaitement Florence AUBRY, c’est l’implacable enchaînement de circonstances qui peut mener à la catastrophe.
Biture express est un roman que l’on « descend » d’un trait, mais dont on ne sort pas indemne. C’est une lecture salutaire. Et édifiante.
L’alcool a pénétré mon sang, directement. J’entends moins bien. Je vois moins bien. Je me sens moins tout. Moins triste moins vulnérable. Je me sens plus. Plus belle plus drôle plus forte. C’était une bonne idée finalement, ce verre obligé. Plus triste plus amoureuse. Je voudrais qu’il soit là. Je m’en fiche qu’il ne soit pas là.
Et soudain c’est fini le ni oui ni non et on y va, tout le monde se lève, on décolle, on part, on bouge. Je voudrais un dernier verre, avant la route. Je n’ai pas envie que l’effet se dissipe. Je veux rester où l’alcool m’a emmenée. Tout y est doux. Il n’y a pas d’angles là-bas. J’y suis bien. Même le chagrin y est doux.
Florence AUBRY, Biture express.
Mijade
192 pages – 8 €
Paru en 2010
L’auteur : née à Besançon, Florence Aubry y a fait toutes ses études : licence de lettres modernes et licence de sciences du langage, puis elle intègre une licence de géographie, jusqu’au DEA. Florence Aubry a passé ensuite le Capes de documentation et sa première affectation a été un collège de la Somme où elle restera cinq ans avant de rejoindre le Languedoc Roussillon. Elle est professeur documentaliste en collège et habite actuellement un petit village à quelques kilomètres de Narbonne.
Un autre extrait "Nous, c'est pas pareil".
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15/08/2010
La Face cachée de Margo (J. GREEN)
« Voilà comment je vois les choses, tout le monde a droit à son miracle. »
Quentin termine sa dernière année du lycée. Pas très sportif, plutôt « intello », il appartient au clan de ceux qui ne sont pas populaires, les souffre-douleur qui rasent les murs pour éviter d’attirer sur eux les foudres des vedettes. Tout le contraire de Margo, la star du lycée. Voisine de Quentin, ils partagent également un secret enfoui dans leur enfance. Depuis, ils se côtoient, de loin. Jusqu’au soir où Margo va faire irruption dans la chambre de Quentin pour l’entraîner dans une expédition nocturne qui va le faire changer à jamais.
Roman initiatique, roman qui signe la fin de l’adolescence, La Face cachée de Margo tourne autour du personnage à la fois fascinant et agaçant de la fameuse Margo Roth Spiegelman. Ni toute à fait la même, ni toute à fait une autre, elle semble pivoter sur elle-même pour offrir à chacun la facette de ce qu’il a envie de voir. Quentin ne fera pas exception, choisissant de se mirer dans le miroir qu’elle lui tend pour devenir ce qu’il a toujours rêvé d’être : plus fort, plus audacieux.
Choisissant de confier la narration à son personnage masculin, John GREEN propose un récit qui ressemble à un périple vers la connaissance et l’âge adulte. Des poèmes de Walt WHITMAN tissent un réseau de fils qui permettront à Quentin de parvenir à la vérité sur Margo, une vérité où réalité et littérature s’entremêlent pour brosser un tableau d’une certaine adolescence, celle de lycéens américains dans leur banlieue douillette, celle – aussi – des séries américaines qu’affectionnent les adolescents de tous pays.
Une remarque : pourquoi n’avoir pas conservé le titre original de Villes de papier, beaucoup plus représentatif du roman que cette Face cachée de Margo ?
Voilà ce qui est laid dans cette ville, a-t-elle dit. D’ici, on ne voit pas la rouille ni la peinture écaillée ni je ne sais quoi, en revanche on peut dire avec certitude ce qu’elle est. Voir à quel point elle est factice, même pas assez solide pour être en plastique. C’est une ville de papier. Mais regarde là, Q. Regarde toutes ces impasses, ces rues qui tournent sur elles-mêmes, toutes ces maisons construites pour ne pas durer. Tous ces gens de papier vivant dans leur maison de papier, brûlant l’avenir pour avoir chaud. Tous ces gosses de papier buvant la bière qu’un clochard est allé acheter pour eux à l’épicerie en papier du coin. Tous atteints de possessite aiguë. Toute chose aussi fine que du papier, aussi fragile que du papier. Et les gens, idem. Ça fait dix-huit ans que je vis ici et je n’ai jamais rencontré personne qui s’intéresse vraiment aux choses importantes.
John GREEN, La Face cachée de Margo.
Scripto – Gallimard
390 pages – 14€
Titre original : PaperTowns – Paru en 2009 – Traduit en français en 2009
L’auteur : John GREEN est un écrivain américain qui a grandi en Floride avant de partir étudier dans l’Alabama. Il a été commentateur sur la radio nationale NPR et critique pour le «New York Times» et a écrit pour plusieurs magazines. Diplômé de l'université en 2000, il a travaillé comme aumônier dans un hôpital pour enfants. C'est là que l'envie lui est venue d'écrire pour les adolescents un roman sincère sur le désir de transgresser les règles et sur l'expérience de la perte. Il vit actuellement à New York avec sa femme. Après Qui es-tu Alaska ?, son premier roman publié en français, La Face cachée de Margo est son troisième roman, mais le second traduit.
Site internet : http://johngreenbooks.com
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13/08/2010
Ne plus vivre avec lui (E. KAVIAN)
« Tu dirais quoi, si je te demandais de pouvoir vivre ici ? »
Parce qu’elle en a assez de cette garde alternée qu’elle subit depuis ses treize ans, parce qu’elle n’en peut plus d’être une semaine sur deux la baby-sitter attitrée de ses petites sœurs, celle qui nourrit tout le monde et fait tourner les machines à laver, Sylvia a décidé de vivre désormais chez sa mère à plein temps. Et parce qu’il a accepté avant de décéder peu après, Sylvia se reproche sa décision…
Le roman d’Eva KAVIAN restitue admirablement le bouleversement que représente le décès d’un proche : chagrin, culpabilité, incompréhension et impossibilité à imaginer la vie sans lui. Toute la subtilité de Ne plus vivre avec lui réside dans son ambivalence : Sylvia ne pare pas son père de toutes les qualités, ainsi qu’a l’habitude de le faire l’amnésique mémoire des vivants, au contraire, elle cherche tous les moyens d’atténuer son chagrin en empilant les reproches. Mais cela ne marche pas. Car en creusant toujours plus loin dans sa douleur, elle va faire émerger un « autre » père, un homme, tout simplement, avec ses défauts, ses faiblesses, ses angoisses et… ses qualités.
Histoire d’une reconstruction, l’héroïne va « faire son deuil » durant les presque deux cents pages du roman. Livre-fouillis au début, qui semble compresser les mots après les avoir fait sortir par saccades, puis qui va progressivement trouver sa voie, comme Sylvia va trouver les signes qui vont l’aider à continuer. Paradoxalement, c’est en se plongeant dans les rites funéraires en Asie, dernier livre lu par son père, que la jeune fille va retrouver le goût de vivre, en paix avec le souvenir des défunts. C’est le texte écrit qui va la guider sur le chemin de la renaissance.
Dur, sensible, avec des mots qui sonnent justes sans pleurnicherie, ce roman ne pourra que toucher les grands adolescents (à partir de quinze ans), qu’ils aient ou non connu pareille épreuve initiatique pour entrer dans l’âge adulte.
J’ai envie de crier c’était mon père et vous me l’avez volé ! Vous avez sucé sa force, son temps, son énergie, mais vous avez oublié qu’il avait une famille ! Ça ne vous pas traversé l’esprit, ça ? Faites le calcul et dites-moi qui, selon vous, va payer l’addition, pour tout ce que le saint homme des bois vous a apporté ? Savez-vous que je faisais tourner une lessive pendant qu’il réparait votre clôture, savez-vous que pendant qu’il donnait des cours particuliers à vos enfants je devais faire mes devoirs toute seule ? Savez-vous qu’il avait tout prévu pour son décès, mais qu’il n’était pas foutu de remplir le frigo quand nous arrivions chez lui pour une semaine ? Mon Dieu, Papa, d’où me vient toute cette rage ? Je ne pourrais pas pleurer, comme tout le monde ?
Eva KAVIAN, Ne plus vivre avec lui.
Mijade
192 pages – 8 €
Paru en 2009
L’auteur : Née en 1964 en Belgique, Eva Kavian anime des ateliers d'écriture depuis 1985.
Après quelques années de travail en hôpital psychiatrique, une formation psychanalytique et une formation à l'animation d'ateliers d'écriture, elle a fondé l'association Aganippé, au sein de laquelle elle anime des ateliers d'écriture, des formations pour animateurs, et organise des rencontres littéraires.
Elle a reçu en 2004 le prix Horlait-Dapsens, décerné par l'Académie des Lettres pour son travail dans le secteur des ateliers d'écriture.
Complément : une fiche d’exploitation pédagogique de Ne plus vivre avec lui, est disponible sur le site du Prix des Lycéens allemands : http://www.institut-francais.fr/prixdeslyceens/spip.php?rubrique2
15:04 Publié dans Vie quotidienne | Lien permanent | Tags : mijade, adolescence, mort, deuil, kavian, renaissance | | Facebook | |